2 décembre 2010

Actualité académique

Lettre ouverte sur l’éducation : peut-on enseigner sans être formé ?

une lettre ouverte rédigée par des enseignants du
lycée Victor et Hélène Basch à Rennes, portant sur la formation des
enseignants et la réforme dite de la « mastérisation » mise en œuvre
depuis la rentrée 2010.

Jusqu’à présent, la formation des enseignants débutants prenait appui sur un apport théorique
dispensé par des professionnels de l’éducation, d’une part, et sur une pratique en classe, à mi-temps,
accompagnée par un tuteur « chevronné ». Cette organisation, déjà lourde, permettait
aux stagiaires de s’approprier le métier pendant une année et d’en acquérir les bases. Cette
alternance entre la théorie et la pratique permettait de gagner en confiance et en compétence. La
plupart d’entre nous avons commencé à travailler de cette façon et savons ce que nous devons à
ce temps de transition délicate entre les bancs de l’Université et la prise en responsabilité de
plusieurs classes d’élèves.

Désormais, le stagiaire doit assurer un service complet, dès sa première année, et suivre une
formation théorique, inévitablement lacunaire, en surplus de ses heures de cours, de
préparation, de correction, de conseils de classes, de réflexion, d’adaptation de ses
connaissances…

Rappelons que les 18 heures de cours d’un certifié correspondent à 42 heures de travail effectif
pour un enseignant déjà formé. Ce temps de travail est évidemment beaucoup plus important et
plus stressant pour un professeur inexpérimenté.
Les conséquences pour les stagiaires sont désastreuses pour de longues années :
découragement, frustration, situations ingérables, manque de ressources, de concertation et de
recul pour faire face à un métier de plus en complexe.
Les conséquences pour les élèves sautent aux yeux : des professeurs surmenés, peu disponibles,
fragilisés, ne pouvant que parer au plus pressé.
Malheureusement, la perspective d’une formation continue ne vient plus suppléer ce manque de
formation initiale car, plus généralement, c’est le principe même de formation des enseignants
qui est remis en cause par le gouvernement actuel. Par exemple, aucun stage de formation
académique n’a été proposé aux enseignants cette année alors que depuis deux ans un très
grand nombre de ces stages avait déjà été supprimés.

Comment rester professionnels dans ces conditions ? Par exemple, dans le système scolaire
finlandais, dont on loue la réussite, la formation est longue, de haut niveau et s’échelonne tout
au long de la vie. La France suit exactement le chemin inverse !
Quant au remplacement des professeurs, le problème devient de plus en plus grave : en
réduisant le nombre de postes, le Rectorat se trouve acculé à recruter des remplaçants exerçant
dans un autre degré, une autre discipline ou à s’adresser directement au pôle emploi. Le système
des Titulaires Remplaçants, qui garantissait aux élèves d’avoir affaire à des professeurs
qualifiés et formés laisse place à une gestion anti-pédagogique des urgences.

A qui profite cette destruction ?
On voit que cette casse des modes de formation qui contribue à dégrader la représentation du
métier d’enseignant, répond à une logique purement comptable, sans aucune perspective
d’avenir. Nul doute que les officines privées s’engouffrant dans les secteurs de la remédiation
scolaire et de la préparation aux concours trouvent dans ce contexte de quoi s’enrichir à bon
compte.

Quelles sont les perspectives pour les futurs professeurs en France ? Quelles sont celles pour
les élèves ? Les élèves défavorisés sont évidemment les premiers pénalisés par la suppression de
tous les moyens de formation, car ils nécessitent davantage de suivi et de savoir-faire.

Nous, enseignants, nous nous demandons aussi comment le métier que nous défendons peut
être attractif et valorisé ? Comment réconcilier la société avec son école dans de telles
conditions ?

Exiger une véritable formation en alternance pour les professeurs stagiaires et la possibilité de
se former à un niveau académique n’est pas un détail ou un réflexe corporatiste, c’est une
réaffirmation forte de notre souci d’assurer aux élèves un enseignement de qualité et, en
définitive, une société meilleure.

Des collègues du lycée Victor et Hélène BASH à Rennes, réunis en AG le 25 novembre
2010