19 février 2018

Sections départementales

Ségrégation scolaire et politique de l’éducation

La France ne brille pas par la mise en place d’une politique scolaire de réduction des inégalités et de réelle démocratisation de l’École. La massification du collège et du lycée ne signifie pas forcément démocratisation. Certes la scolarisation des enfants de classes défavorisées et leur taux d’obtention du baccalauréat ont augmenté, mais moins vite que pour les enfants de classes supérieures. Ainsi de 1985 à 2012, la durée des études a davantage augmenté pour les enfants des catégories de revenus les plus élevés (8°, 9°, 10° déciles) que pour ceux de familles aux revenus les plus faibles. Pierre Merle parle de « démocratisation ségrégative ». De même lorsque les enfants d’ouvriers occupent la majorité des places en Segpa, CAP ou Bac Pro. (45% à 35%), alors que les enfants de cadres dominent en nombre dans les écoles d’ingénieurs ou l’ENS (resp. 46% et 52%). Plus grave, l’écart s’accroît : ainsi les « écoles de pouvoir » (ENS, X, HEC, ENA...) sont de moins en moins accessibles aux enfants des classes populaires pour qui les probabilités d’accès diminuent. Ces « très grandes écoles » se ferment dans l’entre-soi malgré les quelques opérations (plus « politiques » que réelles) d’intégration de lycéens venus des quartiers défavorisés.

Les comparaisons internationales ne sont pas non plus à l’avantage de la France et montrent même une forte corrélation entre milieu social et réussite scolaire et un accroissement des inégalités dans le temps. Le système scolaire français ne sait pas réduire la ségrégation sociale et l’écart des résultats PISA entre les élèves issus du décile inférieur et ceux du 10° décile est le plus important des pays OCDE, sans pour autant que ces derniers aient les performances les plus élevées (source OCDE 2015).

source : documents du CDEN

Ces inégalités scolaires ne sont pourtant pas une fatalité, mais la France, quels que soient ses gouvernements, n’a pas pris les bonnes mesures :
– le principe du collège unique s’est révélé un leurre qui a de moins en moins de réalité en raison de la ségrégation urbaine, de la dérogation à la carte scolaire, de la possibilité de multiplier les options dans les établissements favorisés, de la stigmatisation des établissements en éducation prioritaire qui sont désertés par les catégories moyennes et aisées.
– On favorise le principe de l’individualisation des parcours et la responsabilisation des élèves et des familles, on remet en cause l’idée d’un ‘’savoir commun’,’ on conteste le mot ‘’égalité’’ qui serait symbole de nivellement par le bas, de renoncement à la culture. Or « en matière éducative, la liberté se construit contre l’égalité des chances » (P. Merle). Le résultat c’est l’élitisation de l’École française et l’abandon des élèves défavorisés.
– L’actuel gouvernement vient de renoncer à la semaine de 4,5 jours sans aucune évaluation de la réforme Peillon (certes mal accompagnée et organisée), en dépit des analyses des chronobiologistes et contre le fait que la France est le seul pays pratiquant la journée de 4 jours en primaire.
– Le dédoublement en CP en REP est une mesure positive mais se suffit pas à régler le problème des sureffectifs dans l’ensemble des classes du primaire. Ne fallait-il pas plutôt réduire le nombre d’élèves dans toutes les classes, même de façon moins spectaculaire que le CP à 12 élèves ?

La sectorisation est le principe de base de l’affectation des élèves, et jusqu’en 2007, l’exception de dérogation est un fait minoritaire. Par contre le rapport Attali (2007-08) dénonçait le fait que la carte scolaire était de plus en plus détournée par les classes privilégié : obtention de dérogations pour obtenir une place dans les établissements « protégés » et mieux dotés en options, fuite vers les établissements privés, alors qu’au contraire les classes populaires, moins bien informées restent confinées dans leurs établissements de quartiers.
Autre défaut pointé par le rapport : la rigidité de la carte scolaire conduit les parents informés dans les agglomérations urbaines à résider dans les zones proches des établissements les mieux cotés ce qui entraîne dans ces zones une hausse de la valeur des logements et accentue ainsi la ségrégation urbaine (cf le cas des Ormeaux dans le quartier en voie de gentrification du Sud gare). On entre dans une spirale négative qui provoque la dévitalisation des collèges notamment des quartiers périphériques (ex. à Rennes, Les Hautes Ourmes perd 28% de ses effectifs entre 2000 et 2006, La Motte Brûlon (auj. Clotilde Vautier) perd 33%) – même si jouent aussi les évolutions démographiques.
La réponse Sarkozy/ Darcos était d’assouplir plus encore la carte scolaire pour assurer la liberté de choix des familles et permettre à toutes de déroger et choisir l’établissement de leurs enfants. Ainsi on prétendait pouvoir supprimer la ségrégation scolaire et renforcer la mixité sociale. Les défenseurs du principe de la carte scolaire dénoncent au contraire cet assouplissement qui encourage plus encore le contournement des établissements dans les quartiers populaires et au bout du compte la ségrégation toujours plus accentuée.
À Rennes, les écarts entre établissements sont considérables entre les collèges où les CSP « défavorisées » dépassent 45% des effectifs (La Binquenais, Clotilde Vautier, Les Hautes Ourmes, Rosa Parks, Les Chalais – le maximum avec 58,5%) et ceux où ils sont inférieurs à 20% (Échange, Émile Zola, Anne de Bretagne, Les Ormeaux) avec là des effectifs de population « très favorisées » supérieurs à 40%.

La présence forte de l’enseignement privé accentue le fossé puisque dans tous les collèges privés (sauf deux), les CSP « défavorisées » sont inférieures à 10% des effectifs. Le privé, en choisissant ses élèves, participe donc clairement de la ségrégation sociale à l’École et de la pratique de l’entre-soi dans les classes privilégiées. L’effet concurrentiel privé/ public encourage aussi les stratégies d’évitement des collèges publics des quartiers périphériques vers les collèges privés du centre-ville (phénomène aussi favorisé par l’ouverture du métro qui raccourcit les déplacements intra-urbains). Il pousse aussi les établissements publics du centre ville, pour répondre à cette concurrence, à créer des sections « d’excellence », ce qui par là-même accentue la dichotomie centre/périphérie : l’effet de spirale encore.

Les mêmes effets sont à l’oeuvre dans la couronne rennaise : ainsi lorsque le collège F. Dolto à Pacé accueille 22% de CSP « défavorisées » et 41% de CSP « très favorisées », le collège privé voisin St Gabriel en reçoit respectivement 7% et 51% ! Ce même collège privé permet aussi la fuite de familles aisées du secteur de Rosa Parks, comme Jean-PauI II à St Grégoire facilite la fuite du secteur de Clotilde Vautier. Les autorités académiques comme les collectivités locales ne cherchent guère à remédier à ces inégalités puisque le fait pour l’enseignement privé d’échapper à la carte scolaire, les libertés qui lui ont été accordées en matière de rythmes scolaires, d’application de la réforme du collège, de choix des options linguistiques ont laissé entendre aux familles que l’école privée pouvait mieux s’adapter aux désirs de chacune et à l’objectif de performance et de réussite.
De même les pouvoirs publics (Conseil départemental) subventionnent largement la construction et l’entretien des collèges privés. Les établissements privés ont donc connu depuis 2000 trois effets positifs : une augmentation de leur « part de marché », du pourcentage d’élèves de familles aisées et de leur ségrégation sociale (P. Merle, 2010).

Pour contrecarrer ces injustices, nous devons revendiquer :
 que soit repensé le recrutement de tous les établissements avec pour but d’homogénéiser l’origine sociale des élèves,
 l’intégration de l’enseignement privé dans la carte scolaire et obliger les établissements privés, puisqu’ils sont financés largement par le budget de l’État et des collectivités, à accueillir tous les élèves sans les sélectionner.
 l’égalisation et l’enrichissement de l’offre pédagogique dans tous les établissements (options linguistiques, sections sportives ou « d’excellence », ouverture culturelle...).
Il est aussi indispensable de repenser les politiques de la ville pour favoriser la mixité sociale, par exemple avec l’implantation de logements sociaux au cœur du centre-ville qui viennent contrecarrer le phénomène de gentrification et de rejet des classes populaires vers les périphéries.
« À Rennes, malgré le souci de rééquilibrage géographique qui a entraîné la baisse de la part des logements sociaux rennais dans les 5 zones urbaines sensibles (Cleunay, Maurepas, Villejean, Champs-Manceaux, Le Blosne) de 75% en 1977 à 55% en 2007, on note à présent une stabilisation de la répartition du parc social » (P. Merle). Les effets sur la structure sociale des collèges publics du centre ville ont été limités. Il faudrait faire beaucoup plus.

L’article s’appuie en grande partie sur les travaux du sociologue Pierre Merle (ÉSPÉ Bretagne) etles statistiques du CNESCO.

Article1 : Mixité dans le département et les collèges rennais
Article 2 : Plan accueil collégiens : projets du Conseil départemental
Article 3 : Ségrégation scolaire et politique de l’éducation
Article 4 : Point de vue des enseignant-es des secteurs concernés
Article 5 : Effectifs dans les collèges : le CD 35 renie ses propres travaux
Article 6 : Bilan des expérimentations « mixité sociale » du CD35
Article 7 : Resectorisation, mixité et 1er degré
Article 8 : Point de vue de parents d’élèves de l’APE de Chantepie
Article 9 : Le conseil départemental et la démocratie
Article 10 : Conclusion