Monsieur le Recteur,
Vous allez aujourd’hui installer la nouvelle CAPA des certifiés, issue des élections professionnelles d’octobre dernier. Ces élections ont confirmé le statut du SNES en tant qu’organisation majoritaire dans le second degré et de la FSU en tant que première organisation syndicale de l’éducation nationale. Nous n’oublions pas pour autant dans quelles conditions ces élections se sont déroulées. Le vote électronique dans l’Education a entraîné une chute record de la participation (-17 point). Nous pensons toujours au nombre considérable de collègues qui n’ont pas pu voter, et nous refusons que ce recul de la participation passe par pertes et profits. Nous continuons donc de porter la revendication du vote à l’urne dans les établissements qui reste le mode de scrutin le plus démocratique.
En dépit des conditions de ce scrutin, la profession a, une fois de plus, dit clairement sa confiance dans notre syndicalisme. Nous en mesurons l’importance et nous en mesurons aussi la portée : nous ne représentons pas ici seulement des syndiqués, mais 53% des collègues certifiés. Nous entendons donc nous acquitter de notre tâche avec responsabilité et rigueur pour faire vivre le paritarisme au service de tous les personnels.
La tâche d’élu paritaire des personnels engage. Comme l’ensemble du fonctionnement en CAPA engage chacun de ses membres. Ceci implique notamment le respect de la règle de confidentialité, que ce soit dans la transmission ou bien dans l’usage des informations concernant les personnels. Mais cela doit inviter aussi chacun à la retenue et à la discrétion quant à la divulgation des données préparatoires aux travaux des CAPA. Chacun connaît notre désaccord avec l’administration à propos de la communication des ‘’projets d’affectation’’ pour le mouvement Inter et Intra – communication qui jette le trouble chez les collègues et qui menace l’intégrité du travail de contrôle des élus paritaires. Pour les mêmes motifs, nous ne pouvons que condamner l’usage aux seules fins de prospective par certaines organisations ici présentes des documents et des fichiers informatiques communiqués aux élus en principe uniquement pour préparer la CAPA. Nous attirons donc l’attention de ces élus pour qu’ils mesurent que de telles pratiques pourraient au final jouer contre le paritarisme. Et nous vous demandons une nouvelle fois, Monsieur le recteur, d’user de votre autorité pour faire cesser des pratiques de ce type.
La CAPA qui est réunie aujourd’hui pour l’examen des promotions d’échelon, pourrait bien être la dernière à se tenir sous la forme que nous lui connaissions jusqu’à présent. Monsieur le Recteur, le SNES-FSU – syndicat que les enseignants, CPE et COPSY ont majoritairement désigné pour les représenter – se fait ici leur porte parole pour vous demander de transmettre au Ministre leur exigence d’un retrait immédiat du projet de décret sur l’évaluation des enseignants qui a été reçu comme une insulte par la profession. L’unanimité qui s’est formée spontanément autour de cette exigence de la part des organisations syndicales lui donne toute sa portée. Aujourd’hui, en dépit d’un premier recul qui ne change rien quant au fond, aucun des principes sur lesquels repose le projet du Ministre n’est remis en cause. Pour nous, il y a donc encore tout lieu de le combattre. C’est pour cette raison que nous appelons ensemble à la grève après-demain, jeudi 15 décembre. Si une organisation s’est désolidarisée de ce mouvement, s’imaginant que les conditions d’un dialogue social peuvent encore exister avec le Ministère actuel, nous continuerons pour notre part à agir jusqu’au retrait de ce texte.
Quelques mots sur le fond de ce projet. On s’étonnera d’abord de ce qu’il semble nier une évidence : l’avancement des enseignants est d’ores et déjà basé à la fois sur leur ancienneté et sur la reconnaissance par les IPR de leurs compétences pédagogiques et disciplinaires à faire réussir les élèves. Les carrières des collègues pouvant ainsi varier de manière significative (de 19 ans pour le rythme le plus rapide à 29 ans pour une carrière déroulée entièrement à l’ancienneté), preuve que dans le système actuel les déroulements des carrières sont loin d’être indifférenciés.
Il est donc clair que l’évaluation unique par les chefs d’établissement – le cœur de ce projet – vise bien d’autres objectifs. Le premier en tous cas ne peut sûrement pas être de prendre davantage en compte les connaissances pédagogiques, didactiques et disciplinaires des collègues. Le décret a beau étendre derechef les compétences des chefs d’établissements en la matière à l’ensemble des disciplines, nous ne voyons guère – au-delà des effets d’annonce – comment l’entretien professionnel, sur la base d’un document d’auto-évaluation pourrait permettre d’appréhender sérieusement la réalité de ce qui se joue en classe avec les élèves. Les chefs d’établissement ont certes une pratique dans l’évaluation au quotidien de la ponctualité et de l’investissement de chacun des collègues, nous ne le contestons pas – sans méconnaître pour autant un arbitraire administratif dans quelques situations que nous pointons en CAPA de notation administrative. Mais nous leur contestons clairement l’aptitude à prendre en compte le métier enseignant autrement qu’en extériorité, au travers d’activités seulement périphériques.
Inaptes à évaluer la valeur des enseignants quant à ce qui constitue le cœur de leur métier, les chefs d’établissements ne seront-ils pas sommés de se transformer tout simplement en managers d’EPLE, eux-mêmes évalués en fonction de leur capacité à contraindre ‘’leurs profs’’ à accepter sans rechigner des tâches qui les détournent de leur fonction première, ou qu’ils rejettent sans équivoque ? À accepter des dispositifs comme le livret personnel de compétences, l’aide personnalisée ou les stages passerelles en heures supplémentaires ?
Comment alors ne pas voir dans un tel projet une volonté de pousser les chefs d’établissements à relayer localement la politique de mise au pas des enseignants, des CPE et des COPsy ? Certaines organisations de chefs d’établissements partagent clairement ces critiques. D’autres se montrent plus séduites, tout en restant prudentes. Mesdames et Messieurs les chefs d’établissements ici présents, nous dirons peut-être quels bénéfices pourraient en tirer leurs établissements et les membres de la communauté éducative.
Quoi qu’il en soit si l’on écarte les IA-IPR de l’évaluation des enseignants, on postule que la transmission des savoirs ne serait donc plus la clef de voûte de nos métiers. Pour les enseignants que nous représentons, les IPR sont avant tout des pédagogues et des experts en didactique de leur discipline respective, formés et qualifiés pour assurer dans les meilleures conditions des missions de conseil et d’évaluation des personnels. Ils sont les seuls à pouvoir porter un regard informé et critique sur les pratiques des collègues dans leurs classes, un regard fondé sur une entrée disciplinaire, un regard d’experts aptes à apprécier les qualités de chacun, aptes à proposer des pistes pour progresser et évoluer dans et avec sa discipline, pour le bénéfice du système éducatif.
Le Ministre affirme que les modalités de cette évaluation sont aujourd’hui désuètes et doivent être réformées. Or ce que nos collègues attendent lorsqu’on les interroge, c’est plus d’inspections ; mais surtout, ils souhaitent que ces inspections aient avant tout un rôle de conseil et d’accompagnement pour les aider à suivre les évolutions de leur métier. C’est pour ces raisons que le SNES-FSU défend l’idée d’un avancement déconnecté de l’évaluation, comme c’est d’ailleurs le cas pour d’autres corps. Nous défendons ce principe d’autant plus que les carrières des enseignants ne forment pas un ensemble homogène et que les conditions d’exercice – extrêmement dissemblables – pèsent en l’état actuel sur l’inspection des collègues. Mesdames et Messieurs les IA-IPR nous diront peut-être eux aussi comment ils appréhendent un projet de réforme qui ne manquera pas de les détourner de ce qui constituait l’essentiel de leur fonction.
Evaluer les enseignants sans porter un regard sur ce qui se passe dans la classe a-t-il un sens ? Le sens. C’est en définitive la question qui sous-tend toute cette affaire. Le projet du Ministre a du sens s’il s’agit d’imposer des réformes dont personne ne veut. Il en a également d’un point de vue budgétaire. Car aligner tous les collègues sur le rythme le plus défavorable pour leur faire bénéficier de ‘’réductions d’ancienneté’’ de 6 à 15 mois, fortement contingentées, serait une bonne affaire pour le budget de l’Etat. Mais cela aurait des conséquences financières considérables pour chacun : pour ne citer que les enseignants qui effectuaient leur carrière au grand-choix et avanceraient au rythme le plus favorable dans le nouveau système, la perte cumulée sur la carrière serait de l’ordre de 15000 euros. Les collègues les mieux notés jusqu’à présent seraient les plus pénalisés.
Le sens pour un enseignant en tous cas, c’est d’abord celui de son attachement à sa discipline et le plaisir de transmettre les savoirs dans toute leur diversité aux élèves. Or, justement, reléguer les contenus disciplinaires à l’arrière plan c’est supprimer tout ce qui en fait le sens. C’est creuser un peu plus l’écart entre les attentes de l’institution et l’idée que nous nous faisons du métier, du travail bien fait, celui qui est à mener chaque jour dans nos classes avec les élèves.
Des économies budgétaires au mépris de la réalité du métier, quitte ensuite à déplorer le déficit d’image de celui-ci auprès des étudiants, candidats potentiels aux concours ? N’est-ce pas exactement cette logique qui a prévalu pour placer à temps complet en responsabilité devant les élèves nos collègues CPE et enseignants stagiaires ? Très récemment, le Conseil d’État, saisi par le SNES, a annulé en partie l’arrêté du 12 mai 2010 définissant les compétences à acquérir par les enseignants et CPE stagiaires – au motif que le ministre n’était pas compétent pour abroger seul ce cahier des charges – et rétabli de fait comme texte de référence le précédent arrêté (2006) qui fixait notamment les conditions de l’alternance entre activités de formation à l’IUFM et quotité de stage en responsabilité.
Nous vous avons interrogé aussitôt, Monsieur le Recteur, sur les mesures à prendre pour se mettre en conformité avec le texte de référence de 2006 – qui prévoit un service devant élèves à mi-temps et une formation professionnelle en alternance sur l’autre mi-temps.
La situation faite aux enseignants et CPE stagiaires depuis la rentrée 2010 n’est pas tenable, et le ministre doit ouvrir immédiatement des discussions pour remettre à plat la réforme dite de Mastérisation. Le SNES qui s’est prononcé pour l’élévation des qualifications au niveau Master 2 à l’entrée de nos métiers continuera de combattre la suppression de la formation professionnelle après réussite au concours et les affectations à temps plein devant les élèves.
Des enseignants sans formation professionnelle initiale ou continue, qui ne seraient plus évalués sur leurs compétences pédagogiques et disciplinaires : comment le système éducatif français pourrait-il s’en trouver amélioré ?
Les collègues répondront à cette question en étant majoritairement en grève le 15 décembre.
Monsieur le recteur, mesdames, messieurs, nous vous remercions de votre attention.