Monsieur le Recteur,
Comme l’an dernier, cette CAPA pour l’avancement d’échelon des certifiés a lieu cette année à un moment crucial pour l’avenir du système éducatif dans notre pays. L’an dernier au même moment, sous la pression de la rue investie par les lycéens et les personnels, le Ministre Darcos finissait par différer (pour y renoncer, au moins temporairement, on le verra) une réforme du lycée dont tout le monde s’accordait à dire qu’elle était bâclée. Aujourd’hui même, 10 décembre 2009, son successeur s’apprête à soumettre pour avis sa réforme du lycée au Conseil Supérieur de l’Education.
Ce conseil doit être conçu comme un élément à part entière du débat démocratique sur l’Ecole. Nous saurons bientôt ce qu’entend en faire le Ministre. Nous souhaitons cependant profiter de l’occasion qui nous est donnée par cette CAPA, en tant qu’autre lieu de la vie démocratique dans l’Education Nationale et dans la Fonction Publique de l’Etat, pour vous faire part de la réprobation que suscitent dans la profession les projets de réforme du Ministre, dans lesquelles beaucoup voient finalement pour une grande part une réforme Darcos à la sauce Chatel. En effet :
- l’autonomie des établissements pour l’utilisation de près d’un tiers de l’horaire professeur va conduire au développement des inégalités et à la concurrence entre les disciplines, voire entre les établissements.
- l’accompagnement personnalisé est mis en place par la réduction des horaires disciplinaires dispensés aux élèves.
- l’enseignement des disciplines est dénaturé en particulier pour celles qui figurent dans les enseignements d’exploration en classe de seconde.
- la suppression de l’histoire géographie en terminale S, des mathématiques en 1L ainsi que l’affaiblissement de l’horaire de SES en série ES et de littérature en série L sont intolérables.
- la mise en place du tronc commun en classe de première ne répond en rien à de réelles possibilités de changement de parcours pour les élèves, mais permettraient l’augmentation des effectifs par classe et la poursuite des suppressions de postes.
- La réforme des séries STI/STL est repoussée mais les inquiétudes n’en sont pas pour autant atténuées : le rapprochement annoncé des voies technologiques et générales pour aller vers une uniformisation porte le risque d’ignorer les besoins spécifiques des élèves accueillis dans l’enseignement technologique.
Ce projet ne répond pas à la demande d’amélioration des conditions de travail des personnels et des conditions d’études des élèves. Il est à bien des égards totalement inacceptable, notamment en ce qu’il prévoit d’accroître la part de gestion au local des EPLE, de les soumettre aux injonctions des chefs d’établissements quand bien même les CA les auraient rejetées par 2 fois. L’idée même de mettre en œuvre l’autonomie des établissements en leur attribuant sur projets une part variable de leur dotation est un coin enfoncé dans un des piliers du socle républicain : l’égalité des élèves devant le service que doit leur rendre l’Etat.
Quant à l’élargissement des prérogatives du conseil pédagogique, notamment en ce qui concerne dans le projet du Ministre la répartition des heures dévolues à la mise en place de dédoublements qui ne sont pas cadrés nationalement, beaucoup de nos collègues y voient une véritable provocation. La profession a besoin de travailler en équipe, pas d’une hiérarchie intermédiaire qui aurait en définitive à définir ses services voire même à définir le cadre dans lequel doit s’exercer la liberté pédagogique des uns et des autres.
Au collège, la situation n’est pas différente. Les réformes s’empilent : histoire des arts, socle commun, livret de compétences, validation du niveau A2 en langues étrangères.
Nos collègues subissent ces évolutions là encore sans qu’aucune concertation digne de ce nom n’ait eu lieu et pire, sans qu’ils y aient été préparés par une réelle formation. Ils ont le sentiment de devoir se soumettre à des évolutions dont les fondements sont discutables et de devoir faire face, seuls, aux dégâts occasionnés par la précipitation dans laquelle elles ont lieu. Ils ont surtout l’impression qu’eux-mêmes comme leurs élèves sont confrontés à une perte de sens sans précédent dans l’histoire du système éducatif dans notre pays.
A nos collègues de lycées qui refusent une réforme dont le marquage idéologique, politique et budgétaire n’échappe à personne et à nos collègues de collèges qui se trouvent en ce moment même dans l’œil du cyclone de réformes idéologiques menées à marche forcée, nous affirmons ici devant vous, Monsieur le Recteur, notre détermination à mener toutes les luttes qui permettront de faire émerger un projet sincère, juste, équitable et efficace pour l’Ecole et pour l’ensemble de la jeunesse de ce pays. Nous vous demandons solennellement de transmettre ce message au Ministre, comme le feront nos camarades dans les autres académies.
Les réformes en cours ne doivent cependant pas nous faire oublier d’autres dossiers d’actualité, notamment celui du pouvoir d’achat des enseignants qui accuse un recul constant, de l’ordre de 25%, depuis le milieu des années 80. Les annonces du Ministre sur la revalorisation des enseignants sont en regard de ce constat un véritable scandale.
L’augmentation de 100 euros du salaire pour les nouveaux recrutés n’est pas une valorisation mais une dévalorisation ! Recrutés un an plus tard et avec un diplôme supérieur, ils seraient rémunérés à un salaire inférieur à celui que touchent les actuels recrutés après un an d’enseignement. Pour les milieux de carrière : rien ! Pour les fins de carrière, alors que la pénibilité est de plus en plus grande pour nos collègues et que la durée d’activité ne cesse de s’allonger : rien !
Vous comprendrez donc, Monsieur le Recteur, combien est grande l’attente des collègues concernant la CAPA qui se tient aujourd’hui. Tous en attendent, si tant est qu’ils soient promouvables, une hausse réelle et durable de leur traitement, non pas sous forme d’heures supplémentaires, fussent-elles défiscalisées, mais qui soit une reconnaissance de leur niveau de qualification, de leur engagement et de leur expérience.
Sur la répartition des notes pédagogiques, nous constatons encore des écarts entre les disciplines. Si un dispositif de rattrapage des notes pédagogiques trop anciennes permet de corriger de trop grandes disparités, il reste des écarts substantiels entre disciplines. Est-il acceptable que deux années de suite le taux de promotion au grand choix (tout échelon confondu) reste inférieur à 25% en SVT, physiques/chimie et physiques appliquées et SES. Pour ces deux dernières disciplines, ce sont d’ailleurs moins de 20% des collègues promouvables au Grand choix qui sont promus, là où le taux moyen se situe à 30%. Des disciplines, qui comptent un grand nombre de promouvables sont aussi en retrait par rapport aux 30% : lettres modernes, anglais, histoire géographie et mathématiques. En mathématiques, seuls 24% des collègues promouvables au grand choix sont promus. Ce taux atteint tout de même plus de 40 % dans d’autres disciplines. Nous redemandons une fois encore la tenue d’un groupe de travail paritaire sur l’harmonisation des notes pédagogiques, pour suivre de manière pluriannuelle cette question qui manifestement tarde à se résoudre. C’est aussi une nouvelle fois la preuve que la revendication du SNES d’un même rythme d’avancement pour tous est légitime.
En ce qui concerne l’évaluation des collègues, plusieurs phénomènes sont relativement inquiétants. Dans notre académie, des inspections récentes ont donné lieu à une remise en cause brutale et profonde de la compétence de collègues expérimentés qui avaient jusqu’à présent donné entièrement satisfaction. Faut-il y voir un glissement des objets évalués ? La compétence d’hier n’est-elle plus celle d’aujourd’hui ?
Par ailleurs, il apparaît que les projets ministériels, notamment la lettre de cadrage définissant les missions des corps d’inspection ouvre une nouvelle ère du point de vue du rôle rempli par ceux-ci. Ils seraient en effet chargés pour l’essentiel d’évaluer non plus des individus-enseignants mais des établissements dans leur ensemble. Cette perspective fait naître en nous une double crainte : premièrement le renforcement prévisible du rôle du chef d’établissement dans l’évaluation disciplinaire, en lien avec une individualisation accrue du déroulement des carrières. Deuxièmement, si les corps d’inspections ont en charge l’évaluation d’équipes ou d’établissements, quelle pourrait être leur mission si ce n’est celle de veiller à la mise en œuvre scrupuleuse de politique que n’aura pas su imposer le débat démocratique. Nos inquiétudes sur ce point sont très vives.
Pour finir, évoquons les conditions de formation et les modalités de recrutement des enseignants actuellement en débat. Cette réforme intéresse la société dans son ensemble : quels sont les besoins de notre système éducatif, quelles sont les conditions d’exercice de métiers essentiels pour l’avenir du pays mais aujourd’hui trop peu valorisés, quelles sont les besoins des élèves et des jeunes, quelle sera la formation pédagogique de ceux qui auront la responsabilité de former des millions de jeunes demain ? Enseignants, étudiants, parents, élèves : nous sommes tous concernés ! Nous affirmons notre détermination à imposer par l’action des choix que le gouvernement nous refuse depuis 18 mois. Si de profondes inflexions ne sont pas rapidement apportées au projet de réforme, le gouvernement prépare les conditions d’une situation explosive dans les universités et les établissements scolaires lors de la mise en oeuvre de la réforme à la rentrée 2010.
Parce qu’enseigner est un métier qui s’apprend, les organisations signataires appellent à une journée nationale de mobilisation mardi 15 décembre dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, notamment dans les IUFM.
Vous l’aurez compris, Monsieur le Recteur, les motifs de conflit entre la profession et son administration de tutelle se multiplient. Le SNES, ses élus , ses militants, ses adhérents et la majorité des collègues enseignants, COPsy et CPE qu’il représente feront entendre leur désaccord face à cette politique de casse de leur métier, de casse de l’Ecole que la nation a mis plus d’un siècle à construire.
Les élus du SNES - FSU