Pourquoi la réforme collège va creuser les inégalités et alourdir la charge de travail des personnels.

En à peine quelques semaines, la Ministre réforme à marche forcée le collège pour une application à la rentrée 2016 sur tous les niveaux. Marquée par des messages infamants pour les personnels et leur investissement, la communication ministérielle passe évidemment sous silence la réduction des horaires et la désorganisation inévitable des collèges portées par le projet de réforme. Avec le développement de l’autonomie de l’établissement, les collègues verront se multiplier les réunions pour définir localement les programmes, les projets interdisciplinaires, l’organisation des enseignements par niveau, par discipline, par cycle...
Cette bureaucratie pédagogique, à la main des chefs d’établissement dont la responsabilité s’annonce écrasante dans l’application de la réforme, n’est vraiment pas la solution pour faire réussir tous les jeunes au collège. Le SNES-FSU revendique une autre réforme structurée par les disciplines scolaires, avec des programmes cohérents et annuels, ouverts à une interdisciplinarité construite progressivement sur l’ensemble du collège et sur la base du volontariat. Il faut du temps avec les élèves pour travailler leur entrée dans les apprentissages, des effectifs par classe nettement abaissés (alors qu’une hausse du nombre de collégiens est attendue), des dédoublements dans toutes les disciplines garantis dans des grilles nationales et une formation continue pour les personnels rénovée et pensée pour répondre aux difficultés scolaires. La Ministre se refuse à l’entendre : la profession rassemblée et en grève le 19 mai saura peut-être la convaincre.

Un financement en trompe-l’œil ?

La réforme serait financée par 6 000 emplois pour les 7 100 collèges (publics et privés) : aux 4 000 emplois prévus depuis Peillon s’ajoutent 2 000 emplois par la suppression des classes Euro et des classes bilangues qui ne seraient maintenues que dans de rares exceptions. En moyenne, cela représenterait en tout et pour tout 15h de plus par collège, soit à peine 1h de plus de plus pour chaque classe ! Dans le détail, chaque collège aurait à gérer une part libre des horaires (2h45 par division à la rentrée 2016, puis 3h à partir de la rentrée 2017) pour des dédoublements et de la co-intervention de 2 professeurs dans les Epi (enseignements pratiques interdisciplinaires). Décidées localement, ces possibilités de travailler autrement qu’en classe entière, ne sont même pas suffisantes pour dédoubler les nouveaux enseignements interdisciplinaires et l’accompagnement personnalisé qui se ferait donc toujours en classe entière.
Enseignements pratiques interdisciplinaires (Epi) et accompagnement personnalisé (AP) : une orientation efficace ?
La stabilité relative des horaires cache quelques redéploiements entre niveaux (avec plusieurs diminutions en 3e) mais surtout elle masque abusivement la diminution de certains horaires disciplinaires qui serait décidée localement. Les enseignements complémentaires (AP et EPI) doivent être en effet intégrés dans des disciplines qui auront accepté d’assumer l’AP ou les EPI dans le cadre de leurs horaires disciplinaires. Par exemple, pour un total de 3h d’Histoire Géographie en 5e, les élèves pourraient avoir leur enseignant pour 1h en Histoire Géographie, 1h en AP et 1h en Epi. Quels que soient les mérites pédagogiques annoncés des Epi en 5e, 4e et 3e, leur mise en place (programmation des thèmes choisis et des disciplines associées) nécessiterait des concertations incessantes en conseil pédagogique. Ils renforceraient inévitablement « les écarts de parcours » entre élèves d’un collège à l’autre... d’autant que les Epi seront évalués dans un DNB rénové, sous un format décidé par l’établissement.
La modulation des horaires encouragée : des enseignements désorganisés ?
La globalisation des enseignements est généralisée en 6e pour 4h en Technologie, SVT et Physique-Chimie (qui fait son retour en 6e) et pourquoi pas avec un seul enseignant pour les 3 disciplines ? La semestrialisation des enseignements artistiques est possible à tous les niveaux. Toutes les classes d’un même niveau pourront modifier les horaires de n’importe quelle discipline, en respectant le volume horaire de la discipline sur le cycle et le volume global dû à l’élève sur l’année : une aubaine pour faire face à des absences prolongées non remplacées ? Par ailleurs, tout changement de collège en cours de cycle devient risqué pour les élèves !

De nouveaux programmes pour toutes les classes à la rentrée 2016 ! Définitivement sans manuel ?

Conçus par cycle et sans véritables repères annuels, les nouveaux programmes imposeront une concertation accrue des équipes disciplinaires, sans que le temps nécessaire ne soit accordé dans les services pour organiser la progression des enseignements sur les cycles 3 (CM1, CM2 et 6e) et 4 (5e, 4e et 3e). L’abandon des manuels, déjà promu par certaines hiérarchies, pourrait donc se généraliser... un projet cohérent avec la baisse constatée des crédits pour manuels scolaires alors que les manuels sont aussi la garantie d’un accès à la culture. En plus, un projet de décret sur l’évaluation des élèves est en préparation : le ministère semble vouloir maintenir le LPC (Livret Personnel de Compétences) alors que le CSP (Conseil Supérieur des Programmes) s’est prononcé pour sa suppression dans le cadre du nouveau socle, ce que le SNES-FSU a soutenu.

Une diversification des enseignements plus coûteuse pour l’établissement : les langues régionales ou anciennes seront-elles toujours financées ?

Avec un préalable de s’inscrire dans un EPI correspondant, l’enseignement « long » (sur les 3 ans du cycle 4) des langues anciennes et langues régionales sera financé sur les 2h45 ouvertes aux dédoublements. Maintenir du latin ou une langue régionale dans un collège, reviendra donc à geler une part des dédoublements... On imagine aisément les tensions entre disciplines pour ne pas dire entre collègues au moment où le conseil pédagogique donnera un avis. Avec des parcours à choisir dès la fin de 6e, des familles moins averties pourraient se rassurer en délaissant l’allemand, le latin ou les langues régionales si ces disciplines restent proposées.

Gwénaël Le Paih