ANALYSER, CONTESTER, PROPOSER
DANS LE CONTEXTE DÉLÈTERE EPA DEMANDE L’ABANDON DU SERVICE NATIONAL UNIVERSEL ET SON REMPLACEMENT PAR UN PARCOURS CITOYEN DANS LE CADRE SCOLAIRE ET PÉRISCOLAIRE

EPA a été conduit à porter une nouvelle analyse sur la situation sociale en France à la veille d’une loi portant sur la lutte contre « les séparatismes », dans un contexte où les sirènes xénophobes nourrissent un débat nauséabond après les derniers attentats et homicides d’un professeur de collège à Conflans-Sainte-Honorine et de trois catholiques à Nice. Les dérapages et accusations à l’encontre de chercheurs et membres de l’enseignement supérieur traités d’islamo-gauchistes et les volontés répressives du gouvernement sont de bien piètres arguments. La dispute est pourtant nécessaire pour affirmer encore plus fort les socles d’une République éducative fondée sur la laïcité, le respect des religions et croyances dans le cadre d’un Etat de droit séparant clairement les sphères privées et publiques.
Notre collègue des Yvelines a été assassiné parce qu’il enseignait entre autres avec l’histoire et la géographie, l’éducation morale et civique. Il avait choisi pour cela de prendre appui sur certaines caricatures de Charlie Hebdo. Ce choix n’est en rien à nos yeux une « faute pédagogique ». C’est bien au contraire, pour qui connaît les fractures sociales en cours et les montées de fanatismes, une manière de situer très justement le droit républicain à la caricature. Cet « usage » n’est pas nouveau, déjà exprimé par les saynètes de
parvis du moyen âge, la commedia dell’arte du XVIe siècle, puis Molière et l’Ubu Roi
d’Alfred Jarry, pour ne citer que cette lignée théâtrale. À bien des égards le travail
des ex CTP jeunesse et sports et des CEPJ aujourd’hui, basé sur l’exercice de
la conscience critique, rejoint, par le biais des six nouvelles spécialités cette
contribution indispensable à l’émancipation des cerveaux face aux œillères
obscurantistes.
Les CEPJ ont des arguments et un rôle à tenir sur les sciences de la communication et les réseaux sociaux, dans les activités scientifiques et techniques, les parcours d’éducation artistique, les règles du droit associatif et ses fondements républicains, les sciences de l’éducation et leur mise en œuvre territoriale, l’anthropologie et les mutations économiques, sociales et climatiques.

Le SNU est une fausse bonne idée, le maintenir ne peut que représenter un brûlot social.

Nous l’avons dit et répété aux ministres Blanquer, Maracineanu, Attal, El Haïry, aux Premiers ministres et au Président de la République le SNU en tant que tel est une erreur politique. Comme le service civique il relève du Code du Service National et malgré des éléments de langage trompeurs il vient servir une pédagogie de l’obéissance là où il faudrait, pour être efficace, conduire une pédagogie de la confrontation associée à la fonction républicaine de l’Ecole. Les dérives islamistes radicales ne seront d’ailleurs pas les plus nombreuses en opposition au SNU. Les objections de nombreuses familles, des jeunes eux-mêmes, face à un encadrement de caserne et une conception de l’engagement relevant d’un esprit cocardier, vont nécessairement se manifester. Notre diversité sociale a besoin d’une autre approche prenant appui sur l’obligation scolaire, non pas sur le Code du Service national.
Nous l’avons donc dit et répété le SNU n’est pas une bonne idée et sa généralisation imposée, avec son lot de sanctions en cas de refus, est aux antipodes de l’éducation populaire autant que des ferments d’une éducation morale et civique digne de ce nom.

Pourquoi ce changement de mandat allant de la suspension à l’abandon ?

Nous avons initié avec le SEP-UNSA et le SNPJS-CGT, avec le soutien du SNAPS-UNSA, une pétition recueillant la signature d’une moitié des collègues CEPJ et d’un nombre significatif de professeurs de sport. Nous avons demandé la suspension du SNU, conscients que son inspirateur présidentiel n’accepterait jamais de revenir sur un
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« projet phare » du quinquennat sans analyse argumentée face à lui. Mais l’Elysée est droit dans ses bottes et sa conception rigide.
Demander l’abandon du SNU sans rien proposer nous semblait pure posture. De surcroît ce n’est pas notre conception syndicale. Mais aujourd’hui, après les attentats et homicides qui se
succèdent, le SNU est porté comme remède participant du civisme en action,
alors que la société craque, que le chômage explose, que les jeunes voient leur
avenir s’assombrir, que les parents les plus pauvres, dans leur majorité, perdent
pieds au quotidien. Le gouvernement fait fi de l’histoire collective « jeunesse et
sports » en utilisant l’acronyme « JES » pour dénommer les services Jeunesse et
Sports de « retour » à l’éducation nationale. Le « E » d’engagement qui est venu
se glisser vient supplanter dans sa fonction symbolique le « EP » de l’éducation
populaire. C’est donc le pire scénario possible qui a été choisi de manière
délibérée pour imposer le SNU sur ses fonds baptismaux.
Cette manière d’imposer un concept de l’engagement, qui n’a rien de progressiste, est dérangeant. Le 11 novembre, au cours de la Panthéonisation de Maurice Genevoix, le Président Macron a une fois de plus donné à lire sa conception de l’engagement en concomitance avec une Nation sublimée saluant le « courage de ceux qui savent pourquoi ils se battent. Du courage français. Le même qui avait soulevé ceux de 1789, les Volontaires de l’an II, de toutes nos guerres ». Cette rhétorique guerrière interprète l’œuvre d’un humaniste et d’un poète témoignant d’une hécatombe sur la crête des Éparges. Certes il n’était pas Jaurès ou Romain Rolland mais n’avait rien d’un engagé volontaire.
Ce qui transpire du SNU n’aide pas sur le fond à faire société. Nous osons affirmer cela parce que nous sommes inscrits professionnellement sur les territoires. Nous l’affirmons parce que nous sommes des professionnels de l’éducation complémentaire à l’Ecole en charge d’une mission de service public et d’expertises fondées sur des savoirs et des observations. Nous ne sommes pas les recruteurs du SNU du Code du Service National mais des agents indûment instrumentalisés qui, dès leurs origines ont relevé du Code de l’Education !
Face à un gouvernement qui ne veut pas entendre nos observations, ni même les étudier pour en discuter, nous annonçons avec conviction que la situation politique et sociale impose urgemment de revoir le positionnement de ce qui est recherché avec le SNU. Cela passe par son abandon.

Un « outil » inadéquat, coûteux, inopportun au regard des mutations démographiques
Le SNU, parce qu’il relève du Code du Service National, ne peut s’adresser qu’aux jeunes de nationalité française. Les binationaux – et ils sont nombreux – bien que scolarisés jusqu’à 16 ans ne peuvent être « appelés », sauf à ce que des accords bilatéraux soient conclus. Quand on connaît la multitude de pays représentés en métropole et outremer on mesure l’étendue de ce qu’il y a à réaliser comme démarches diplomatiques bilatérales. Tous les jeunes « étrangers » - qu’ils soient mineurs isolés ou pas – sont eux aussi tenus en dehors du Code du Service National. Ils sont dans une situation encore plus éloignée du SNU que les bi nationaux. Donc le SNU se résume à une entreprise tricolore qui rate son objectif d’intégration et d’apprentissage des valeurs de la République française et de ses fondements laïques constitutionnels.
Alors que le dérèglement climatique à lui seul va provoquer dans les toutes prochaines années des déplacements massifs de populations, on a de quoi s’interroger sur le bien-fondé du SNU. Faire relever un parcours citoyen relevant de l’EMC (à ouvrir sur le périscolaire) du Code de l’Education nationale permettrait de « toucher » ces jeunes, tous les jeunes dès lors qu’ils relèvent de l’Ecole publique et de celle qui est sous contrat. On aurait alors l’occasion de travailler sérieusement une vraie démarche éducative et le terme d’universel pourrait y retrouver du sens.
Mais tel n’est pas le choix du gouvernement et de l’Élysée qui bien au contraire IMPOSENT à la DJEPVA – donc aux CEPJ dans la foulée – une troisième sous-direction dédiée au SNU que les Recteurs seront tenus de déployer. Quoi qu’il en coûte, à savoir 2 milliards/an pour des cohortes de 800 000 jeunes de 15/16 ans à 2 400 € par tête.
La création de cette troisième sous-direction est imminente. Le préfet Patrice Latron, officier d’état-major, a démissionné le 12 novembre 2020 de sa mission SNU où il avait été nommé par l’Élysée. Il va être appelé à de « nouvelles fonctions ». Le comble serait qu’il devienne sous-directeur de la DJEPVA. On aurait ainsi un signal
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aggravant de ce que deviendrait cette direction retrouvant des origines périmées, comme une nostalgie du secrétariat général à la Famille et à la Jeunesse de 1941.
Toute cette rigidité administrative, cette coercition en devenir répond à une vision autoritariste qui nie les métiers. Le SNU va être orchestré via les DRAJES en lien avec les EPLE (chefs d’établissements des collèges). C’est une confusion gravissime qui à nos yeux dénature la mission éducatrice au
delà même du corps des CEPJ. Tout ça pour ça ! Passer au MENJS pour ça !
Quelle faillite ! EPA ne se fera pas complice d’une cécité qui refuse de voir
la mise à mort d’un intérêt général sacrifié à une lubie électorale qui « pue
de la tête » (Léo ferré in Poètes vos papiers).
De nombreuses questions se posent. Le SNU est en train de devenir un
marché (Léo Lagrange et d’autres ont largement investi le SNU). La Droite
parlementaire soupçonne le gouvernement de « subventionner » des
mouvements par le biais des prestations du SNU. S’ils savaient ! Le
gouvernement ne fait qu’instrumentaliser un mouvement associatif aux
abois avec la crise sanitaire et économique. Les deux milliards du SNU
« obligatoire » seraient plus judicieux dans un plan de relance de
l’éducation populaire et un programme ambitieux de parcours citoyen
concerté. Mais comment deux milliards sont possibles ? Aujourd’hui ? Est
ce que ce monde est sérieux ?
Revoir l’articulation « Education Morale et Civique » sur temps scolaire et hors champ scolaire
Avec le même budget, avec la mobilisation des mêmes acteurs éducatifs (mouvement sportif et associations agréées d’éducation populaire) on peut tout à fait organiser des classes de parcours citoyens transplantées lors de la première phase. On peut parfaitement disposer de lieux adaptés disponibles en fin d’année scolaire, juste avant la campagne d’été des colos. On peut avoir des intervenants qualifiés et des contenus articulés au programme EMC et des enseignants qui en ont la charge. On peut y compris renouer avec une forme de stages de réalisations thématiques adaptés pour des publics de 15/16 ans. On doit surtout associer les jeunes eux-mêmes à la construction de ces parcours. La pédagogie active n’est pas un emballage, ni un slogan.
Inscrire ces parcours citoyens dans le Code de l’Education suffirait à les rendre « obligatoires » au lieu de les faire relever du Code du Service National. Rien n’interdit pendant ces séjours d’aborder les grandes fonctions sociales d’une République comme le rôle de la Police et de l’Armée, la place de la Fonction Publique, l’explication du système de santé en France, la protection sociale et ses évolutions. Bien entendu les rapports hommes/femmes, la sexualité, le changement climatique, la place des Religions dans le monde, et autres grands sujets de sociétés ont toute leur place dans des thématiques à revoir dans le cadre d’un programme à revisiter. Nous serions pleinement dans la continuité éducative. Associer les fédérations de parents d’élèves et les organisations de jeunesse nous apparaît incontournable.
Le fait que les enseignants soient devenus des cibles du terrorisme est inacceptable et ils ne peuvent, seuls, être en première ligne sur une éducation « citoyenne » qui nécessite certes un parcours en prolongement de l’Ecole mais dans un cadre pleinement éducatif.
L’abandon du SNU et sa refonte totale via le Code de l’Education permettrait aussi de mieux utiliser les personnels techniques et pédagogiques Jeunesse et Sports qui vont rejoindre les services de l’éducation nationale le 1er janvier 2021. Ce transfert se fait mal la plupart du temps, dans l’opacité aggravée par la situation sanitaire. Les organigrammes ont affligeants. Leur sémantique est trompeuse : on nomme missions ce qui relève de programmes. On fait entrer les préfets dans l’action éducative via les fausses « missions » jeunesse et sports. Ce qu’on promet aux CEPJ/PS à « iso missions » c’est la poursuite de la perte de sens et des déqualifications déjà opérées aux ministères sociaux.
Abandonner le SNU, revoir la construction du parcours éducatif citoyen, convoquer l’intelligence collective pour tenir les engagements républicains de l’Ecole. Ce mandat a été pris au sein du secrétariat national élargi d’EPA-FSU. Il nous apparaît possible et nécessaire à conjuguer avec d’autres syndicats Jeunesse et Sports si on y associe « abandon » et « construction alternative » crédible et travaillée pour ne pas être dans une simple posture syndicale convenue.

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