Rennes, le 19 mars 2013
Objet : Positionnement de l’ADBEN Bretagne et du SNES Bretagne vis-à-vis du déploiement du
modèle des 3C dans l’académie
Monsieur le Recteur,
Une série de réunions de bassin se sont tenues entre le 1er et le 22 février 2013 dans l’académie de Rennes,
sous l’intitulé de « Demi-journées départementales de formation des professeurs documentalistes et CPE :
mise en place des 3C » [1]. L’ADBEN Bretagne et le SNES Bretagne tiennent à faire connaître leur positionnement
sur ce modèle des Centres de connaissances et de culture (3C) et sur le déploiement qui en est envisagé dans
l’académie de Rennes.
L’ADBEN Bretagne et le SNES Bretagne regrettent tout d’abord le ton employé lors de ces réunions, ressenti
par de nombreux collègues comme culpabilisant, infantilisant et insultant. Ils déplorent aussi le discours de
l’éducatif contre le pédagogique, déployé en particulier au travers de représentations caricaturales des
différents professionnels concernés par le modèle des 3C – enseignants documentalistes, CPE, enseignants de
disciplines – que l’association professionnelle comme le syndicat ne peuvent en aucun cas cautionner. Ils
espèrent vivement que des rapports plus constructifs et respectueux pourront se mettre en place à l’avenir
entre les professionnels de terrain et l’inspection EVS dans l’académie.
Mais c’est fondamentalement sur le contenu du discours entendu que L’ADBEN Bretagne et le SNES Bretagne
tiennent, encore davantage, à réagir. En effet, le dossier des 3C (Centres de connaissances et de culture) tel
qu’il a été présenté, engage des questions majeures pour la profession qu’ils représentent.
Le modèle des 3C pose ainsi, de manière explicite, la volonté de modifier profondément les missions des
professeurs documentalistes, sans modification de la circulaire de mission afférente. L’ADBEN Bretagne et le
SNES Bretagne s’opposent au principe d’une redéfinition des missions des professeurs documentalistes par
d’autres moyens que ceux prévus par la loi.
L’évolution envisagée, de par le rapprochement très étroit avec la vie scolaire et les logiques de bibliothèques
publiques, la dimension de conseiller technique du chef d’établissement qu’elle entend appliquer à la
profession, présente une incohérence claire vis-à-vis du référentiel de compétences professionnel en cours
d’élaboration au ministère de l’Education nationale, qui ne contient aucune occurrence du 3C et intègre
pleinement les professeurs documentalistes au référentiel des enseignants.
L’ADBEN Bretagne et le SNES Bretagne mettent en garde contre un dispositif d’expérimentation local
indûment déployé à large échelle, et mené sur un mode opératoire informel et non transparent. L’association
professionnelle et le syndicat s’inquiètent ainsi de l’absence de cahier des charges clair concernant dès
l’origine les critères d’attribution de l’appellation 3C, de la grande variabilité des chiffres relatifs aux
établissements engagés dans la démarche, de l’absence de liste consultable desdits établissements. Ils
demandent que toute expérimentation dans ce domaine fasse l’objet d’un suivi et d’une évaluation par une
instance représentative, intégrant une communication régulière auprès des professionnels de terrain
concernés.
Dans ce contexte, et compte tenu de la dimension indubitablement globale du projet des 3C, impliquant
l’ensemble de la communauté éducative et relevant d’une mutation profonde du fonctionnement
pédagogique et éducatif même de l’établissement, voire du système scolaire dans son ensemble, L’ADBEN
Bretagne et le SNES Bretagne tiennent ensuite à signifier leur incompréhension devant le plan de
communication déployé par l’institution sur ce dossier.
Si les professeurs documentalistes ont été informés depuis 2011 des perspectives engagées, ils ont aussi
maintes fois signalé qu’il s’agissait de projets qui ne répondaient pas de manière satisfaisante aux enjeux
pédagogiques contemporains. Nos collègues CPE, également directement concernés par le 3C, n’ont été
informés du projet que très récemment, et de manière très parcellaire. Quant aux enseignants, ils n’ont fait
l’objet d’aucune communication directe sur ce thème. Qu’en est-il, dès lors, de l’ambition globale et
participative annoncée ?
L’ADBEN Bretagne et le SNES Bretagne relèvent aussi que les moyens de communication et de formation
actuellement mis en oeuvre, au plan national mais aussi au niveau académique, peuvent sembler choquants
au regard de l’insuffisance de moyens affectés à la formation continue des professeurs documentalistes, en
particulier dans le domaine de la pédagogie, de la didactique et des enseignements info-documentaires. Ils
regrettent, plus globalement, que le cadre expérimental comme les moyens cités n’aient pas été affectés à un
objet plus porteur de sens dans l’intérêt des élèves : le développement de la formation à l’information
documentation pour tous les élèves dans l’enseignement secondaire.
L’ADBEN Bretagne et le SNES Bretagne déplorent que l’entrée structurante du modèle des 3C soit celle des
temps et des lieux, évacuant ainsi la question des spécificités des personnels qui sont censés y exercer, et en
particulier la mission enseignante du professeur documentaliste. Ils demandent à ce que soit clarifiée la
répartition des responsabilités et des missions de chacun à l’intérieur de l’espace global qu’est le 3C.
L’élargissement de l’amplitude d’ouverture des centres, critère majeur dans le modèle des 3C, est proposé
sans que la question de la spécificité des usages d’un CDI ait été posée, sans qu’un diagnostic des besoins et
attentes ait été réalisé et, surtout, sans l’ambition de répondre aux enjeux liés au développement de la culture
informationnelle. L’ADBEN Bretagne et le SNES Bretagne s’interrogent sur la place qu’il restera aux actions de
formation et aux séances d’activités documentaires menées en groupe ou en classe entière, dans un lieu
multifonctionnel dont la logique principale annoncée est celle de la gestion du temps hors-classe, de la salle
d’étude à l’accueil des élèves exclus.
La question de l’autonomie renvoyée à l’élève interpelle également, car elle est une façon de le renvoyer à son
propre échec, aggravant ainsi les inégalités. L’autonomie est une capacité qui se construit ; elle ne peut être
considérée comme allant de soi, et nécessite un étayage constant par des personnels compétents et formés.
Au-delà, la question des moyens humains qui seraient affectés au déploiement du modèle des 3C est un autre
motif d’inquiétude. De fait, la mutation supposée des CDI en 3C serait destinée à se faire à moyens constants.
Or, les professeurs documentalistes fonctionnent déjà trop souvent en sous-effectif, ou a flux tendu, dans
leurs établissements. Leurs conditions d’exercice rendent difficile et aléatoire la mise en place d’une formation
de tous les élèves à la culture de l’information.
A la multiplicité de tâches qui leur incombe déjà, le 3C entend en ajouter de nouvelles, dans une logique de
service, de pilotage et de conseil technique qui ne correspond pas au métier, résolument enseignant et tourné
vers les élèves, qui est le leur. L’ADBEN Bretagne et le SNES Bretagne constatent ainsi, plus que tout autre
élément, la faiblesse criante du discours entendu lors de la série de réunions de bassin, en matière de mission
pédagogique du professeur documentaliste, et de formation de tous les élèves à l’information documentation.
Pour L’ADBEN Bretagne et le SNES Bretagne, le champ d’intervention pédagogique du professeur
documentaliste ne saurait être réduit aux compétences d’autonomie et de responsabilisation, toutes deux
transversales et non spécifiques ; la culture de l’information, enjeu majeur pour la réussite de nos élèves, ne
saurait de surcroît se réduire à l’unique objectif de lutte contre le cyber-harcèlement. Dans ce domaine de la
culture informationnelle, qui ne constitue qu’une partie du domaine spécifique d’expertise du professeur
documentaliste, la profession défendra plutôt l’enseignement des notions d’identité ou de présence
numérique, ou encore celle de traces numériques, plus à même de répondre intelligemment aux exigences
didactiques associées à l’utilisation des outils numériques. C’est bien d’avantage en matière d’utilisation
critique et raisonnée que d’accès aux outils qu’il convient aujourd’hui de penser la fracture numérique.
L’évolution nécessaire des missions du professeur documentaliste, tout comme l’indispensable réflexion
globale à mener sur la question des espaces et du travail personnel de l’élève dans le contexte du numérique,
ne sauraient trouver réponse dans le modèle proposé du 3C, qui récuse l’objectif essentiel de formation de
tous les élèves à la culture de l’information, en choisissant la logique de la multifonctionnalité des lieux et des
personnels. L’ADBEN Bretagne et le SNES Bretagne soutiennent à l’inverse que c’est par le respect de
l’expertise spécifique de chacun, par la construction d’une complémentarité entre des espaces distincts aux
fonctions clairement identifiées, par la mise en place de conditions favorisant la concertation et le respect
mutuel des missions que des solutions adaptées pourront voir le jour, dans l’intérêt des élèves.
L’ADBEN Bretagne et le SNES Bretagne demandent qu’un réel dialogue, mené dans le respect des personnels
et de la parole du terrain, soit ouvert avec la profession sur toutes les questions liées à l’évolution des missions
du professeur documentaliste, et de l’espace CDI. Ils demandent, en particulier, que l’identité enseignante du
professeur documentaliste soit pleinement reconnue et prise en compte, et qu’une réflexion active et
ambitieuse soit menée dans l’académie, en faveur d’une réelle formation de tous les élèves à la culture de
l’information, de la sixième à la terminale.
Dans l’attente de votre réponse, que nous ne manquerons pas de relayer auprès de nos collègues, Veuillez
recevoir, monsieur, l’expression de nos sincères salutations
Gaëlle SOGLIUZZO
Présidente de l’ADBEN Bretagne
Pour le bureau associatif académique
Gwénaël Le Paih
Secrétaire Général Académique du SNES-FSU