Lorsque le Président de la République est confronté à des contestations, il organise un Grand débat, une concertation, se paie de grands mots et déclarations narcissiques. A chaque fois il entend se réinventer, initier une nouvelle « phase du quinquennat », mais les actes ne suivent pas... Ainsi la crise du Covid-19, le fiasco de la réponse apportée (comparée à la méthode allemande), après des mois de contestation des personnels hospitaliers, ont accouché d’une nouvelle grande messe, le « Ségur de la Santé » (avenue de Ségur, siège du ministère de la Santé) ouvert par le 1er ministre le 25 mai.
Le dit Ségur prétend apporter des réponses aux problèmes du système de santé, mais il se focalise sur l’hôpital et il ignore les questions portant sur la médecine de ville, le sous-équipement des EHPAD, le budget d’ensemble de la santé (ONDAM = Objectif National des Dépenses d’Assurances Maladie), notoirement insuffisant.
Les "discussions" doivent durer jusqu’à fin juin autour de 4 axes :
– transformer et revaloriser les métiers de la santé,
– définir une nouvelle politique de financement et d’investissement,
– simplifier le fonctionnement des équipes,
– fédérer les acteurs de la santé au niveau des territoires,
Le gouvernement entend "bâtir les fondations d’un système de santé encore plus moderne, plus résilient, plus innovant, plus souple et plus à l’écoute de ses professionnels", alors même que sont sur la table depuis longtemps propositions et revendications venues des syndicats, des organismes professionnels, des chercheurs qu’il suffirait d’entendre et mettre en oeuvre sans tarder.
De plus quelle est cette "réinvention", alors que le 1er ministre entend garder le cap de la réforme Buzyn ? Sur la T2A (Tarification à l’activité) qui a tant fait de mal à l’hôpital : elle serait maintenue pour 50% du financement (c’était déjà dans le programme du candidat Macron en 2017). La dette des hôpitaux serait reprise par l’Etat pour un tiers (là aussi mesure déjà annoncée), le maintien des 2/3 restants condamne donc les hôpitaux encore et toujours à l’austérité.
Autre proposition : l’assouplissement des 35H, voilà de quoi bien soulager la tâche et l’épuisement des équipes de soignants ! Sur les revalorisations, rien de précis et concret...
Tout aussi grave, après la grande messe du 25 mai devant 300 participants (virtuels, en visio-conférence), les travaux du "Comité Ségur national" vont s’opérer à 40 membres dont on aura pris soin d’écarter les représentants du Comité inter-urgences (CIU) et du Collectif inter-blocs (CIB) qui représentent les paramédicaux et ont lancé la contestation des mois derniers, et de marginaliser les représentants syndicaux (CGT, FO, Sud) au milieu d’une floppée de directeurs d’ARS (Agences régionales de Santé), d’hôpitaux, de caisses primaire d’assurance maladie (CAM), de représentants de l’Ordre des médecins — tous ces gens étant reconnus pour leur esprit de changement et leur audace sociale ! Des collectifs contestataires, seul le Collectif inter-hôpitaux (CIH) est intégré aux discussions avec la présence de 2 médecins (sur 40 membres...).
Et signe ultime d’ouverture, la présidence du Comité Ségur est assurée par Nicole Notat, ex-secrétaire générale de la CFDT (1992-2002) et alors soutien du Plan Juppé, ex-patronne de Vigeo, agence de notation des "performances sociales" des entreprises, ex-présidente du think tank libéral, "Le Siècle" (après Denis Kessler ! celui qui voulait détruire l’héritage du CNR). Nul doute là aussi qu’il faille s’attendre à une révolution sociale, au retour des Jours Heureux et à la restructuration de la société au profit des plus défavorisé.e.s
On l’aura compris, il n’y a rien à attendre de cette nouvelle instance. "Elle s’inscrit dans la longue suite d’enfumages dont ce pouvoir est coutumier. Seul le rapport de force politique et syndical poussera la technostructure déguisée en politique à « se réinventer »" (dixit Fr. Pierru, sociologue de la santé).