Par un courriel posté après la manifestation du 5 décembre, un étudiant de 21 ans s’adresse à l’un de ces anciens profs de lycée à Rennes et témoigne du désenchantement de sa génération face à la crise actuelle. Il paraît intéressant d’en tirer enseignement, même si on ne peut prétendre qu’il est représentatif de toute la jeunesse.
Semaine après semaine depuis des mois, voire des années, les manifestations dans la rue, sur les réseaux sociaux, à travers les multiples pétitions traduisent l’inquiétude et la colère, mais aussi les espoirs d’une société neuve, plus solidaire et responsable de la part d’une proportion forte de la population. Inlassablement les gouvernements successifs ferment les yeux et ignorent avec superbe cette contestation car bien sûr « ce n’est pas la rue qui gouverne !... » (Raffarin, 26-11-2019 réitérant une phrase de 2013).
Parmi les catégories sociales en désespérance, la jeunesse a de quoi plus particulièrement exprimer son désarroi et son désespoir : confinement, isolement social, difficultés financières, sentiment de culpabilité face à l’épidémie, politique cynique liberticide et ignorante des enjeux environnementaux...
Pour en témoigner, le courriel reçu par un collègue, enseignant de SES, de l’un de ses ancien.ne.s élèves, aujourd’hui étudiant à Paris. Celui-ci a participé aux dernières manifestations contre le projet de loi « Sécurité globale ». Le 5 décembre il est témoin de la blessure infligée – 5 doigts arrachés – à un jeune homme par une grenade GM2L (classée ’’matériel de guerre’’). Comme un épisode de plus dans la litanie des violences policières, et passé inaperçu. Il souligne le rôle douteux des grands médias qui n’accordent de place qu’aux aspects policiers des manifestations : – les actions des ’’casseurs’’ et les violences subies par les forces de l’ordre, – le rôle ’’exemplaire’’ de la police lorsque les mêmes casseurs sont mis sous contrôle, – les commentaires en plateau toujours centrés sur le maintien de l’ordre...
Il décrit à son ancien professeur ses sentiments marqués de dépit, à la fois de révolte et d’impuissance, il parle de ’’rage et de colère’’, du constat ’’que rien ne change’’, que malgré des manifestations aux intentions pacifistes, les décisions du gouvernement chaque semaine accroissent le triste tableau : après la loi sur la sécurité, celle sur les universités qui vise à museler la contestation des étudiants et des enseignants, restreint l’autonomie des chercheurs, la loi sur les séparatismes qui crée des clivages artificiels et favorise le repli sur soi communautariste.
Il exprime son ’’dégout profond pour une république moribonde’’ où la police n’a plus de respect pour les citoyens perçus comme des ennemis, où des syndicats et associations de policiers appellent à la violence brutale, véhiculent des idées racistes et menacent le gouvernement lui-même. Ce qui entraîne en retour dans son entourage haine et violence, ou à l’opposé un désengagement total – « fermer les yeux et demeurer apolitique ». Pour lui, la jeunesse ’’perd pied’’, pense que ’’les études n’ont plus de sens’’, n’arrive plus à se projeter dans le futur.
Certes il s’agit d’un témoignage, on ne peut prétendre qu’il soit représentatif de toute la jeunesse. Mais il suffit qu’il existe pour que nous soyons amené.e.s à réflexion sur notre métier, sur notre action de citoyen.ne, sur notre engagement syndical. Il est de fait que la démocratie ne tourne pas rond en France, lorsque l’opinion, toutes les opinions ne sont jamais prises en compte, lorsque la parole et les travaux de multiples intellectuels et chercheurs ne sont jamais étudiés, lorsque les plus fragiles dont les jeunes ne sont jamais pris en considération, lorsque, pour ce qui nous concerne, le monde éducatif et culturel est à ce point bafoué.
Le meilleur moyen de rendre utile ce témoignage lucide, c’est de continuer à contester, être présent dans les manifestations contre la loi liberticide, participer massivement à la grève du 26 janvier.