Face au constat des inégalités à l’école, la réponse de l’institution est double : – il faut ramener l’élève à l’individu avec l’idée que chacun construit son parcours et son destin,
– l’école doit s’adapter aux « différences » et aux inégalités en individualisant les pratiques pédagogiques par l’enseignement différencié (évaluation par compétences, bienveillance, parcours adaptés...). Les neurosciences nous apprendront à adapter la pédagogie à chaque cas personnel.
Les explications sociologiques qui pointent déterminismes sociaux, familiaux, culturels affichent selon le ministre Blanquer et les siens une « vision doloriste » et négative et disculperaient les individus (les élèves) de leur responsabilité, en développant une culture de l’excuse.
Pourtant, une étude menée par 17 chercheurs-chercheuses sous la direction de Bernard Lahire (professeur à l’ENS de Lyon) – Enfances de classe – De l’inégalité parmi les enfants, éditions du Seuil – étudie le destin de 35 enfants suivis à partir de 2014, leur petite enfance et leur arrivée à l’école à 3 ans. Le constat est pessimiste et sans appel : à 3 ans beaucoup de choses sont déjà jouées et rédhibitoires. Certains partent avec de l’avance quand d’autres ont déjà beaucoup de retard. Les auteurs constatent l’importance essentielle du milieu social et l’appartenance de classe. Les enfants sont tributaires du capital scolaire et culturel des parents, de leurs moyens financiers qui permettent ou pas de voyager, découvrir des horizons divers, visiter musées et lieux de culture, mais aussi des capacités d’être bien nourris, bien logés, bien soignés. Ainsi certains ont très vite la connaissance et la maîtrise du vocabulaire et de la syntaxe, l’habitude de l’écrit et du livre, les comportements qui permettent ensuite la réussite dans le système scolaire tel qu’il est établi.
La conclusion de B. Lahire est que l’école est certes très importante, mais elle ne résout pas la question sociale et les enseignants n’arriveront jamais seuls à réduire les inégalités. Elle peut améliorer les situations en scolarisant plus souvent dès l’âge de 2 ans, en développant l’ouverture culturelle, en favorisant le contact entre les parents et l’école. Pour autant, elle ne solutionnera pas les problèmes cruciaux liés aux injustices sociales. Les familles de classes sociales défavorisées, malgré leur conscience des enjeux de l’école et leurs efforts pour ’’pousser’’ leurs enfants auront rarement l’occasion de transcender les classes sociales. Ainsi les transfuges de classe qui réalisent des success stories (l’auteur B. Lahire, en est un exemple) sont très minoritaires et « statistiquement improbables », les quelques arbres qui cachent la forêt des injustices sociales.
Car les quelques mesures prises, comme le dédoublement des classes de CP en REP, les efforts promis pour l’avenir sont forcément insuffisants surtout lorsque le gouvernement mène par ailleurs une politique qui retire de l’argent aux plus pauvres, se refuse à réduire les inégalités et à mener une politique du logement et d’aménagement des territoires, accroit les privilèges des plus riches. Car à défaut, comme le propose B. Lahire à titre d’hypothèse, de supprimer les classes sociales en redistribuant massivement les richesses, il apparaît plus que nécessaire de défendre et développer les services publics, donner des moyens accrus à l’école, assurer le plus possible la mixité sociale.
Le combat des enseignants ne se déroule pas seulement dans la classe pour former leurs élèves, mais aussi à l’extérieur pour lutter contre les dérives destructrices du modèle social et des services publics.