27 janvier 2020

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Lettre ouverte d’une prof de lycée

Un conseil pédagogique s’est tenu vendredi 24 janvier 2020 au lycée Brequigny à Rennes. Comme tous les ans il s’agissait de présenter à la communauté éducative les prévisions d’effectifs pour la rentrée 2020 et les premières propositions de répartition horaire entre les différentes sections et disciplines. Comme il semble que ce soit désormais la règle, les besoins horaires de l’établissement ne sont pas couverts par la dotation attribuée par le rectorat.
Nous avons la chance au lycée Brequigny d’avoir une équipe de direction humaine, bienveillante, et attentive à la bonne marche de ce gros vaisseau de plus de 3000 élèves et de plus de 300 enseignants. Monsieur le Proviseur nous avait convoqué pour que nous réfléchissions ensemble, sur la base de premières propositions d’attribution des heures, à la meilleure façon de satisfaire nos besoins pédagogiques en fonction de nos référentiels disciplinaires. La dotation est telle cette année, que bon nombre d’heures de dédoublement sont supprimées dans cette première répartition des moyens et qu’en conséquence le nombre d’heures d’enseignement en classe entière augmente. Cette gestion de la pénurie oblige aussi à supprimer certains enseignements optionnels, voire, certains autres qui ne le sont pas réellement. Ce conseil pédagogique porte mal son nom, nous devrions plutôt l’appeler le conseil de crise pédagogique.
Nous sommes désormais invités à nous réunir en équipe pour envisager les meilleures solutions possibles pour nous organiser avec ce qui nous est donné, et à fournir à notre proviseur les arguments qui lui permettront de négocier quelques heures supplémentaires auprès du rectorat. Ne serait-ce pas là, un jeu de dupes, dans lequel toute notre communauté va une fois encore laisser une énergie folle pour récupérer quelques maigres moyens horaires ? Pouvons-nous continuer à accepter cette forme absurde de fonctionnement ? L’Éducation Nationale, n’est-elle plus dans notre pays une priorité ? Notre avenir commun n’est-il pas en jeu dans la formation de notre jeunesse ?
Aujourd’hui pas une semaine ne se passe, sans que soient soulignées dans la presse, les tensions, les difficultés et la détresse du monde scolaire. Régulièrement aussi, des débats médiatiques se tiennent au sujet de notre place ridicule dans les classements internationaux qui évaluent le niveau scolaire de nos élèves. Ces débats remettent souvent en cause l’excellence des enseignants pourtant recrutés sur la base de concours exigeants, leurs méthodes pédagogiques. Rarement hélas il est question des conditions sociales parfois très compliquées des élèves que l’école publique accueille sans aucune discrimination et des difficultés d’une jeunesse sans repère confrontée à une société anxiogène. Rarement aussi parle-t-on du nombre croissant d’enseignants contractuels poussés sans aucune formation pédagogique devant des classes hostiles. N’a-t-on jamais imaginé quiconque, s’improvisant du jour au lendemain, médecin neurologue ? Ces collègues, ne sont pas en cause, ils arrivent dans nos murs avec la fraîcheur de leurs illusions fondées sur ces idées préconçues qui font des enseignants des privilégiés qui travaillent peu et dorment beaucoup.
Depuis bientôt plus de 8 semaines avec l’ensemble des Français concernés, les enseignants sont majoritairement en lutte pour la préservation d’un système de retraite digne et équitable, hérité des combats de leurs aînés. Ils font grève autant qu’ils le peuvent en essayant de ménager malgré tout leurs progressions pédagogiques pour ne pas pénaliser leurs élèves déjà éprouvés par un contexte social anxiogène. Nombreux sont ceux qui, grévistes, assurent leurs cours faisant cadeau à l’éducation nationale de leur labeur. Les professeurs sont aussi en lutte contre la mise en place du nouveau bac et des fameuses épreuves communes de contrôle continu (E3C). Ces épreuves organisées de façon précipitée, loin de tenir leurs promesses, sont facteurs de stress pour les élèves, leurs familles et les enseignants. La complexité de l’organisation éprouve durement les équipes dirigeantes ainsi que les professeurs responsables faisant peser sur eux une responsabilité nouvelle. L’école devrait être un sanctuaire stable et serein propice au bonheur d’apprendre, il n’en est plus rien.
Face à ces nouvelles conditions d’examen les enseignants du Lycée Brequigny tentent de s’opposer et de résister à ce qu’ils estiment ne pas garantir la qualité et l’équité d’un diplôme national. Leurs moyens d’action sont très faibles et les obligent à adopter des positions radicales loin de la mesure dont ils ont si souvent fait preuve. Distribution de tracts en direction des élèves et de leur famille,
assemblées générales, grèves, tentative de diffusion de leurs idées auprès de la presse locale, occupation nocturne des locaux du lycée. Face au cynisme qu’on leur oppose le point de rupture est proche.
Notre proviseur, qui est dans son rôle, nous a rappelé par courrier à nos devoirs de fonctionnaires. Nous lui avons répondu lors du conseil de crise pédagogique du 24 janvier 2020 que nous étions fiers d’être fonctionnaires d’État. Nombre d’entre nous avons choisi d’enseigner avec un niveau universitaire qui nous ouvrait les portes de carrières bien plus rémunératrices et, aux yeux de beaucoup, plus prestigieuses. C’est parce que nous avons un sens aigu de notre devoir dans l’éducation et l’épanouissement de notre jeunesse que notre souffrance est réelle et profonde face à l’absurdité de cette énième réforme dans laquelle le ministre s’entête. Loin d’être inconsidérées nos actions sont des actes de détresse.
Quel est le projet, si ce n’est de mettre à terre la magnifique institution qu’est l’école publique et plus largement que sont les services publics d’État ?
Quelle sera une France dépourvue de services publics de qualité qui assuraient la cohésion et le bienêtre de son peuple ? Entendons les voix des fonctionnaires du ministère des Solidarités et de la Santé, du ministère de l’Intérieur, du ministère des Armées, du ministère de la Justice, du ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, du ministère de la Culture, du ministère des Sports et du ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse.
Valérie Lacruz Professeure de Design et d’Arts appliqués Lycée Bréquigny Rennes