La mobilisation contre la loi « Sécurité globale » paie : le gouvernement a dû reculer sur les aspects les plus attentatoires à la liberté d’informer en proposant une réécriture de l’article 24 (sur la prise de vue de policiers « en action »). De même, il y a quelques jours le Conseil d’État (décision du 22 décembre 2020) a interdit l’usage des drones dans la surveillance des manifestations et rassemblements sur la voie publique.
Pour autant, le projet de loi n’est pas remisé dans les sous-sols du Parlement. De plus d’autres mesures à venir menacent les libertés collectives et privées et l’exercice de la démocratie.
Ainsi, plusieurs décrets publiés début décembre, créent 3 fichiers de « sécurité publique » : PASP (fichier établi par la police), GIPASP (géré par la gendarmerie) et EASP (concernant les candidats fonctionnaires à des postes sensibles) destinés à collecter des renseignements, hors contrôle d’un juge sinon a posteriori, sur les personnes susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique et la sûreté de l’Etat — aussi bien les intérêts économiques et industriels que la lutte contre les manifestations non déclarées ou contre le terrorisme. Le fichage pourra s’étendre aux personnes morales et aux groupements (groupes sur les réseaux sociaux, groupes zadistes...), mais aussi à l’entourage des personnes fichées, y compris des enfants mineurs et même les victimes des personnes fichées (sic). Les renseignements seront conservés 10 ans, informant état-civil, e-mail, comportements et mode de vie, déplacements, activités publiques et sur les réseaux sociaux, opinions politiques, syndicales et religieuses, données de santé, photos captées par les caméras de surveillance ou des drones équipés de dispositifs de reconnaissance faciale. Le gouvernement acte la possibilité d’une collecte automatisée des données et d’un croisement des fichiers. Bien noter qu’il ne s’agit pas de mettre sous surveillance les seules personnes impliquées dans des actions de violences collectives, mais bien au-delà, soit environ 70 000 personnes enregistrées actuellement au PASP et GIPASP et 222 000 à l’EASP, à terme beaucoup plus si on y intègre par exemple les manifestant.e.s contrôlé.e.s ou verbalisé.e.s lors de manifestations (là encore sans contrôle du juge).
Objectif avoué de tout cela : faire entrer la surveillance policière dans une nouvelle ère technologique avant les JO de 2024.
D’autres signes inquiètent dans le soutien du gouvernement à toutes initiatives vers la « technopolice », en encourageant les municipalités à accroître les effectifs et le rôle des polices municipales et à multiplier les mesures de surveillance totale et massive de l’espace public. On ose alors parler de « smart cities » (villes intelligentes) où s’allient intelligence artificielle, big data, électronique, sous l’égide de grands groupes comme Thalès, Cisco, Huawei et autres start up... Safe city à Nice, Serenicity à Saint Etienne et autres projets de villes laboratoires à Toulouse, Marseille, Valenciennes etc. Ainsi se multiplient caméras de vidéosurveillance, microphones de rue, portiques de reconnaissance faciale (en projet même dans les lycées à Nice), drones, application mobile de dénonciation citoyenne. Il s’agit de réaliser le rêve de la sécurité absolue en localisant tout incident, en « repérant dans la foule des individus au comportement bizarre » (G. Collomb, alors maire de Lyon), en facilitant l’intervention rapide et automatisée de la police. Mais alors, tout citoyen est désormais suspect, tous les comportements sont normalisés, chacun peut être surveillé. Ce qui n’a pas empêché pourtant l’attentat sur la promenade des Anglais à Nice, la ville la plus équipée en caméras déjà en juillet 2016. Le projet sécuritaire est un fantasme en plus d’être liberticide.
Autre avatar des textes macroniens de contrôle des libertés : la loi Avia contre les contenus haineux sur Internet (24 juin 2020) qui confie le pouvoir de censure des propos haineux, discriminatoires, d’appel à violence raciste, sexiste... aux plateformes et hébergeurs (Google, Twitter, Facebook...) sous contrôle du CSA, sans intervention du juge judiciaire. Le gouvernement veut donc confier le contrôle du Net aux géants du web et les inciter à créer une police robotisée et automatique de censure. Le risque est bien sûr de limiter, voire interdire via les plateformes Internet les critiques politiques à l’encontre du gouvernement : ainsi en janvier 2019, les services de police fort zélées demandaient à Google (heureusement sans suite) de retirer une image caricaturale du président Macron et son gouvernement (grimés en gouvernement Pinochet), image classée dans la catégorie « injures et diffamation xénophobes ou discriminatoires » ?! Mais autre victoire, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs annulé une grande partie de la loi Avia pour atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.