Il y a quelques jours la ministre de l’Enseignement supérieur annonçait fièrement, reprise par de nombreux médias qu’il restait seulement 3000 candidats sans affectation. Beau travestissement des chiffres :

Ces 3000 (en fait 3600 soyons précis) bacheliers sont ceux qui ont fait appel, faute de solution, aux commissions rectorales d’aide, mais il faut y ajouter 4000 étudiants de 1re année en réorientation – tous ceux donc que le ministère appelle « actifs ».
Mais on ’’oublie’’ ceux qualifiés « d’inactifs » qui attendent une proposition sans avoir sollicité le rectorat soit 24000 bacheliers et 16000 étudiants.
Et d’autre part, 71000 candidats qui ont obtenu une proposition mais ne s’en satisfont pas et attendent mieux.
Au total près de 120 000 candidats sur Parcoursup (soit 15% des inscrits) qui sont insatisfaits d’une manière ou d’une autre.

Plus grave peut-être encore, 180 000 candidats ont quitté la plateforme depuis le mois de mars, soit plus de 20% de la cohorte inscrite au départ. Le ministère ne sait pas dire où sont passés ces postulants à l’enseignement supérieur ni évaluer leurs motivations.
Sans solution, avec le sentiment d’être indésirables, que leur projet est inaccessible, il y a sans doute de quoi renoncer.
Pour beaucoup aussi, comment faire face à une inscription de dernière minute sur une ville, sur un site lointains, dans une filière pas vraiment désirée, supposant installation compliquée et coûts hors de portée.

Sans doute quelques uns ont totalement lâché prise, renoncé à l’enseignement supérieur. Le plus probable, c’est la fuite vers le supérieur privé auquel le gouvernement a donc fait un joli cadeau. Mais cela suppose un sacrifice financier énorme pour beaucoup de familles (5000 à 8000€ par an) et la nécessité d’emprunts étudiants. De quoi accentuer le fossé entre milieux sociaux capables ou non de financer des études longues à leurs enfants.

Chiffrer le phénomène n’est pas facile, les données sont partielles et variables d’une filière à l’autre. Mais les indices sont concordants : le nombre d’inscription dans le supérieur privé a augmenté parfois fortement, notamment dans les écoles d’ingénieurs, de commerce ou de management.
Patrick Roux, président de la Fédération nationale de l’enseignement privé (Fnep) laisse entendre que « les échos vont pratiquement tous dans le même sens : nous assistons à une hausse globale plutôt spectaculaire ». Il l’explique par les situations de blocage sur Parcoursup : « Pour en sortir, deux choix se sont offerts aux étudiants : attendre ou s’orienter vers le privé, où les places ne sont pas forcément comptées. Certains ont donc fait le choix de quitter le navire public, et on peut les comprendre ».

Certes, les insuffisances de Parcoursup ne sont pas seules responsables, puisque le phénomène a débuté il y a plusieurs années : de 2008 à 2017, les effectifs dans le supérieur privé ont augmenté de 40%, et le privé a ainsi absorbé 80% de la hausse du nombre des étudiants (chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur). En cause, le manque de places offertes dans le supérieur public, l’insuffisance du suivi des étudiants en difficulté, faute de moyens, le déficit d’accompagnement vers le monde professionnel en fin d’études.

Parcoursup est le symptôme d’une politique menée depuis deux décennies de désengagement de l’Etat, de budgets qui ne suivent pas la hausse des effectifs étudiants, de baisse des financements de la recherche, mais aussi de volonté de diriger les lycéens vers des filières d’apprentissage, de considérer que seule une minorité devrait accéder à des études supérieures niveau licence ou master. Le tout additionné à la philosophie macronienne de l’individualisation des parcours et de la responsabilisation des individus : que chacun ait assez d’initiative et de courage (et d’héritage culturel et économique...) pour construire sa réussite et sa fortune.