Pour justifier la réforme des retraites, le gouvernement dénonce l’existence des « régimes spéciaux » en construisant un amalgame spécieux entre ces régimes dits « spéciaux » et des régimes « autonomes » qui n’ont pourtant pas de lien entre eux.

La question des retraites s’est posée dès le XIX°s comme un des combats menés par la classe ouvrière contre l’exploitation capitaliste. On connait le cas de l’Allemagne où Bismarck entre 1883 et 1889 met en place un système de protection sociale (dans les faits pour contrer la montée en force du mouvement socialiste et s’attacher la fidélité des ouvriers à l’empire). En France les gouvernements sont incapables de réaliser un système de protection sociale généralisée : débats interminables au Parlement après 1875, lois votées en 1910 puis 1928-30 mais non mises en œuvre... Il faut attendre 1945 pour que soit créée la Sécurité sociale.

De ce fait, face à l’incapacité de l’Etat, des systèmes de protection sociale et de retraites ont été créés suivant les corps de métier à l’initiative des syndicats à force de combats  : gaziers (puis électriciens) en 1858, cheminots à partir de 1860, mineurs en 1894, ’’postes, tabac et allumettes’’ en 1919 ou quelquefois de façon ’’paternaliste’’ sur l’initiative du patronat. De son côté l’Etat mettait en place les systèmes de pensions des militaires, des marins puis des fonctionnaires (ces derniers en 1853).
En 1945, à la création du régime général de Sécurité sociale ces régimes ’’d’avant-garde’’, perçus comme un ’’horizon’’ à atteindre, ont gardé leurs spécificités jusqu’à ce qu’une universalisation par le haut puisse se faire – un rattrapage par le haut qui n’a d’ailleurs pas eu lieu. Au contraire depuis 1995, les gouvernants n’ont de cesse d’organiser une harmonisation par le bas avec le démantèlement des régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF et Fonctionnaires).

D’autre part, en 1945 dans leur majorité les professions indépendantes (artisans, commerçants, agriculteurs, professions libérales...) ont refusé d’intégrer le régime général, par corporatisme, préjugés anti-salariés, refus de contribuer au régime commun... Elles ont donc constitué au cours du temps des régimes autonomes, aujourd’hui parfois en grande difficulté du fait du fort déséquilibre actifs/retraités et des revenus trop faibles des actifs (Mutualité agricole, régime des artisans et commerçants...).
Il ne faut donc pas confondre et mettre sur le même plan ces régimes particuliers et les régimes ’’spéciaux’’ nés des luttes sociales de la fin du XIX°s et précédant la 1re Guerre mondiale qui ont longtemps constitué l’héritage des luttes sociales de la classe ouvrière et l’horizon du progrès social pour l’ensemble de la population. Les gouvernements néolibéraux, loin d’assurer le progrès social par l’amélioration continue et universelle des droits des citoyens, cherchent à aligner ces droits sur le moins disant, à diviser les catégories de population, à pousser les plus favorisés à de dissocier de la solidarité nationale en s’adressant aux systèmes d’assurance privés, en renvoyant les plus pauvres à un maigre ’’filet de sécurité’’. Le tout dans l’ignorance de l’histoire et de la longue construction sociale du pays.

Patrick Tarroux