Nous avons bien compris que la crise sanitaire allait être doublée, triplée par une crise économique et une crise sociale. Au départ de cette crise, sous le coup de la sidération, nous avons tous pensé que rien ne serait plus comme avant, on a fait des plans sur la relance des services publics, sur le contrôle des intérêts capitalistes, sur la contribution accrue des plus riches à l’effort collectif, sur la relocalisation des activités économiques et la réindustrialisation des secteurs stratégiques.
C’était sans compter sur la force de nuisance des chantres du néo-libéralisme (Institut Montaigne, IFRAP) et du MEDEF, sur l’ambiguïté hypocrite du gouvernement. Déjà, on nous ressert l’impossible repli de la mondialisation, la priorité des intérêts économiques, le report sine die des mesures écologiques, et surtout les nécessaires sacrifices que devront consentir les salariés (à commencer par la hausse du temps de travail). Décidément, « l’après » risque fort de ressembler à « l’avant »... en pire !
Dans l’Education nationale, la situation de confinement, l’école « à distance » ont permis au ministre d’accentuer ses conceptions et ses méthodes. La caporalisation se poursuit, la gestion par la défiance est plus que jamais la règle.
Ainsi, la DEPP (Dir. de l’évaluation, de la prospective et de la performance) mène une enquête auprès des familles sur le suivi de la scolarité durant le confinement avec des questions plus qu’ambiguës sur les enseignants. Une autre auprès des CPE qui leur demande de juger les « difficultés » rencontrés par les enseignants « pour assurer leurs missions » : étrange conception du métier de CPE...
Il y a la multiplication des guides, fiches, préconisations au mépris de l’expertise et de la liberté pédagogique des enseignants. L’une de ces fiches (retirée du site du MEN) intitulée « Coronavirus et risque de replis communautaristes » appelait les enseignants à identifier discours et signes de replis identitaires des groupes radicaux qui chercheraient à exploiter la pandémie, avec tout un vocabulaire de mise en garde fortement exagérée. On veut prévenir le complotisme, mais où est le complotisme ?
Il y a aussi le rejet, l’ostracisation des chercheurs spécialistes dans les débats d’idées sur le système éducatif, sa conception, son évaluation, l’établissement des programmes (des « bourdieuseries » sans intérêt selon le ministre),
La pensée conservatrice et néo-libérale, cachée derrière un discours scientiste autour des neurosciences, d’une vision behavoriste de l’éducation (éloge des savoirs comportementaux, les « soft skills », empruntés au management des entreprises) qui responsabilise l’élève en tant qu’individu au détriment des valeurs du collectif.
La situation a aussi favorisé l’introduction du numérique éducatif, appelé à se développer après le retour à la « normale » (cours numériques, enseignement à distance, outils informatiques et objets connectés, pratiques collaboratives... mais avec quels moyens, quelles formations ?). A la clé, le contrôle accru du travail des enseignants et l’infiltration des pratiques pédagogiques par des opérateurs numériques privés (à commencer par les GAFA).
La tâche sera lourde, après l’étrange période que nous venons de vivre, de contrecarrer la politique du ministre, contradictoire entre une vision plutôt réactionnaire du rôle de l’école (retour aux « fondamentaux », responsabilisation des élèves et des familles, morale étroite...) et une image donnée moderne et scientiste. Le combat du SNES-FSU reprend de plus belle.