Le collectif d’experts « Nos services publics » vient de publier un rapport sur l’état actuel des services publics en France. Le premier constat : malgré la hausse de la dépense, celle-ci ne suffit pas à répondre aux besoins sociaux qui se sont accrus et diversifiés et sont appelés à croître (démographie, évolution des territoires, changement climatique...). L’Etat qui se désengage a donc encouragé l’emprise du secteur privé ce qui a déstabilisé les services publics et favorisé les inégalités. L’un des chapitres du rapport est consacré au système éducatif, en voici les principales conclusions.
La grande affaire de l’Education nationale lors des dernières décennies a été la massification scolaire et la généralisation des diplômes. Mais la massification n’est pas la démocratisation et elle n’a pas entraîné le recul majeur des inégalités, et la France reste l’un des pays où l’impact de l’origine sociale sur les parcours scolaires et le futur professionnel est le plus marqué.
La massification a eu des effets paradoxaux : il y a bien eu une hausse générale des niveaux et des diplômes – 20% d’une classe d’âges au bac en 1970, 60% vers 1995/2000, 80% depuis 2015 et une très forte augmentation d’étudiants dans le supérieur. Mais cela ne s’est pas opéré de façon égalitaire puisqu’on observe un déplacement des inégalités, de la durée des études vers le type de filières suivies, ainsi le taux de bacheliers dans les classes populaires a été acquis par l’extension des bacs technologiques et professionnels – en 2022, les enfants d’ouvriers et employés représentent 34 % des titulaires de baccalauréat professionnel et seulement 16 % des titulaires d’un baccalauréat général alors que les enfants de cadres représentent à l’inverse 35 % des titulaires d’un baccalauréat général et 8 % des titulaires d’un baccalauréat professionnel.
Dans le supérieur, la hausse du nombre d’années d’études jusqu’à bac + 2 ou 3 se fait dans les filières les moins qualifiantes ou moins prestigieuses pour les enfants d’ouvriers et employés – ils/elles représentent 43% des étudiant.e.s en BTS, 32% des étudiant.e.s en Licence, mais seulement 15% des étudiant.e.s en écoles d’ingénieurs. A l’université, les enfants de cadres représentent 30 % des étudiant.e.s en licence, au même niveau que les enfants d’ouvriers et d’employés, mais ils/elles représentent ensuite 40 % des étudiant.e.s au niveau du doctorat, quand les seconds n’en représentent plus que 15 %.
De même la massification n’a pas su empêcher les difficultés de réussite des enfants des catégories populaires, cela se manifeste dans les enquêtes PISA. Ces enquêtes classent la France parmi les pays où l’origine sociale pèse le plus dans la réussite scolaire des élèves, à un niveau certes similaire à l’Allemagne, mais plus inégalitaire que les États-Unis, le Portugal, et surtout le Canada, le Royaume-Uni et l’Italie. L’école ne sait pas effacer fondamentalement les inégalités de capital culturel et contrecarrer le déterminisme social. De même pour les inégalités liées au sexe : les filles réussissent globalement mieux et sont plus nombreuses à être diplômées dans le supérieur, mais elles ont tendance à moins bien réussir en mathématiques et dans les disciplines scientifiques que les garçons.
Les auteurs du rapport s’appuyant sur des études statistiques et sociologiques pointent des élements d’explication :
– « l’obsession française pour l’évaluation et la notation » qui entraînerait une propension à étager inconsciemment les notes en catégories autour de la moyenne mathématique (’’constante macabre’’ en courbe de Gauss) et serait source de tension et d’anxiété et un frein à la transmission des connaissances. Autre élément pointé dans les enquêtes : en France plus qu’ailleurs est souligné le mal-être à l’école pour une proportion importante d’élèves lié à la qualité de vie dans l’enceinte des établissements, à des phénomènes de violence et de harcèlement, au manque de compréhension des enseignants. Cela favorise le désengagement d’une partie des élèves et parfois le décrochage scolaire, surtout dans les milieux populaires – Ceci dit les données de l’OMS sur le bien-être à l’école ne note pas des différences fortes avec la moyenne des pays OCDE.
– Le défaut de mixité sociale dans les établissements scolaires qui est fortement contrecarrée par le recours de plus en plus affirmé à l’enseignement privé par les catégories CSP+, par choix d’évitement du mélange social, recherche de ’’l’excellence’’ et culture de l’entresoi. Ainsi dans les collèges privés, les élèves des milieux très favorisés ont bondi de 29% à 40% des effectifs, tandis que les élèves des catégories défavorisées sont passés de 27% à 19%. Or les pouvoirs publics financent en large partie l’enseignement privé sous contrat, ils encouragent donc cette forme de ’’sécession’’ des plus riches qui renforce le déterminisme social.
On assiste de plus à une croissance du privé hors contrat dont les effectifs ont été multipliés par 3 (notamment dans le 1er degré) depuis 2010, même s’ils restent encore faibles. Souligner aussi un essor important des cours de soutien privés, subventionnés par l’Etat via le crédit d’impôt (coût : 200 millions €) alors que ce sont surtout les familles les plus riches qui y ont recours.
– Des conditions de travail dégradées pour l’ensemble des personnels et une perte d’attractivité du métier d’enseignant : faiblesse des salaires, perte de pouvoir d’achat depuis 20 ans, réformes non concertées, injonctions contradictoires, formation défaillante, remise en cause de la liberté pédagogique, sureffectifs, temps de travail alourdi... Une étude conduite en 2022 démontre, malgré le fort sentiment de sens au travail, que la satisfaction professionnelle est très inférieure à la moyenne française (6/10 contre 7,2/10).
Ces conditions d’exercice expliquent la désaffectation pour les concours : baisse de 15% du nombre d’inscriptions au CAPES et à l’Agrégation de 2016 à 2020, nombre de démissions en augmentation de 20% depuis 2017, surtout parmi les jeunes enseignants.
La réponse du Ministère c’est le recours plus important aux contractuels (7,5% des enseignants, mais 65% pour les autres acteurs : AED, AESH, personnels sociaux et de santé ; pas de données pour les agents des collectivités territoriales) avec pour conséquence la précarisation de nombreux personnels.
Ces faits sont dénoncés par le SNES-FSU depuis longtemps, ils sont confirmés par les données compilées dans le rapport.
Or si l’on veut que l’école accomplisse son rôle d’intégration des élèves de tous les milieux sociaux, il est nécessaire de favoriser la mixité scolaire, l’imposer au secteur privé, rendre tous les établissements plus accueillants et organisés pour répondre aux besoins des élèves, donner aux enseignants les moyens matériels et pédagogiques pour assurer la réussite de toutes et tous.
Pour lire le rapport : https://files.umso.co/lib_ufoFEvhlRMwflNFx/4yo5j25unpy9vy3n.pdf