Après les multiples violences policières qui se répètent au fil des jours depuis plusieurs années et le projet de loi « Sécurité globale » (cf encadré ci-dessous) qui menace les libertés citoyennes, les manifestations de samedi à l’appel des organisations de journalistes et des syndicats de salariés ont mobilisé des centaines de milliers de personnes. Sans doute entre 10 et 15 000 à Rennes — bien davantage que les chiffres faux et ridiculement sous-estimés de la préfecture. D’ailleurs comment comprendre un tel émoi jusque dans la majorité et le gouvernement si ces manifestations n’avaient regroupé que 133 000 citoyen.ne.s dans toute la France ?
Derrière les mots...
A la veille de ces manifestations, le préfet Lallement, dans une lettre adressée à chacun des policiers parisiens les engage à tenir « la ligne républicaine jusqu’au bout ». puis ajoute : « dévier de la ligne républicaine qui nous sert de guide, cette ligne qui a éclairé les pas de nos anciens dans les ténèbres de l’histoire (sic), c’est renier ce que nous sommes, c’est ébranler le pacte de confiance qui nous unit à nos concitoyens, c’est perdre le sens de notre mission »,
Quelle période évoque donc le préfet, que sont ces "ténèbres de l’histoire" ? On pense d’emblée à la période de Vichy. Mais alors, Pétain avait détruit la république, et on ne constate guère que la police se soit révoltée pour "tenir la ligne républicaine", elle a même dans sa majorité accomplit avec zèle les basses oeuvres du régime, rafles anti-juives comme chasse aux résistants. A moins qu’il ne parle de la période de la guerre d’Algérie quand son prédécesseur Papon, à la veille des manifestations à Paris du 17 octobre 1961 (au moins 120 morts) puis du 8 février 1962 (9 morts) déclare aux policiers que "pour un coup donné, nous en porterons dix" et laisse entendre que les forces de l’ordre seront couvertes pour les actions de répression entreprises, qu’il est ensuite félicité par le pouvoir gaulliste "pour ses qualités de chef et d’organisateur". Quelle drôle de conception de l’ordre républicain quand ce type de policier n’est jamais ni contesté, ni sanctionné, ni repris au mot par le gouvernement ?
Que dire aussi du Président de la République qui dans son message, après le passage à tabac de Michel Zecler, nous dit vouloir « une police exemplaire avec les Français », comme aussi « des Français exemplaires avec les forces de l’ordre ». Mais en quoi le président, s’il a bien évidemment la responsabilité du comportement des forces de l’ordre, pourrait-il dicter leurs attitudes aux citoyens ? C’est quoi être "exemplaire avec les forces de l’ordre" ? — bien sûr s’abstenir de toute violence condamnée par la loi… mais est-ce aussi s’interdire de dénoncer les violences policières (expression qu’Emmanuel Macron nie et bannit du langage), de rappeler l’histoire, de filmer les policiers en action, de les caricaturer et les critiquer avec force, de réclamer une refonte de la police nationale ?
Cette sémantique trahit une fois encore la volonté du Président de dicter les conduites de chacun, d’introduire de la morale dans les rapports citoyens (un citoyen doit être "gentil" et respectueux des hiérarchies...). Ce ne sont pas la loi et le contrat social qui gèrent les liens de citoyenneté, mais des commandements moralisateurs et paternalistes.
Tout comme dans nos rapports d’enseignants avec les instances administratives hiérarchiques, nous devons dire que cela suffit et exiger des relations d’égalité et de responsabilité fondées sur le droit.
Mais dans les faits la proposition de loi (issue de LREM et Agir) a une portée bien plus dangereuse à l’encontre de la liberté d’informer et de manifester.
- les caméras piéton dont seront équipées les forces de l’ordre (FdO) pourront transmettre en temps réel au commandement opérationnel les images des manifestations qui pourront être mises en lien avec des systèmes de reconnaissance faciale
- l’usage de drones sera généralisé dans les manifestations permettant la captation d’images des « meneurs » et le suivi de leurs déplacements
- l’art. 24 prévoit la pénalisation de « l’usage malveillant des images de policiers dans le but de porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique ». Dans les faits l’appareil juridique existe déjà pour sanctionner ce type de délit. Ici le texte est inopérant puisqu’il s’agit d’interdire une ’’intention’’ et non un acte avéré, comment les tribunaux pourront-ils apprécier ? Cette disposition va entraîner des effets pervers : les journalistes ou témoins pourront être empêchés de filmer par allégation de ’’l’intention de nuire’’ et donc se voir confisquer leur matériel ou être placés en garde à vue à titre préventif (pratique déjà courante). Autre effet induit, la censure des réseaux sociaux, or c’est par eux qu’une grande partie des « violences policières » ont pu être dénoncées.