L’Institut des Politiques Publiques, lié à l’Ecole d’Economie de Paris, vient de publier un rapport (destiné au Conseil d’Évaluation de l’École, rédigé par trois économistes : Pauline Charousset, Marion Monnet et Youssef Souidi) sur la ségrégation sociale en milieu scolaire. L’objectif est de mettre à disposition des décideurs les études et connaissances scientifiques sur le sujet.

En France, la ségrégation sociale est directement liée à la ségrégation résidentielle, c’est-à-dire à la propension ou l’obligation d’individus de milieux sociaux identiques à se regrouper sur une même zone géographique. Cela correspond à la structure géographique de l’habitat, urbaine notamment, construite depuis les années 50’ qui a entrainé une forte spécialisation (pour ne pas dire ségrégation) des espaces résidentiels. Le phénomène est renforcé par la répartition des élèves dans les établissements (lycées généraux et technologiques vs lycées professionnels par exemple) et au sein des établissements (par le jeu des options et filières) en fonction de leur niveau scolaire (ce qu’on appelle ’’ségrégation académique’’).
L’existence de l’enseignement privé sans contraintes de sectorisation accentue aussi la ségrégation sociale. En France le secteur privé, à la fois financé à 75% par fonds publics (ce qui facilite son accès aux classes moyennes supérieures culturellement favorisées) et totalement libre de recruter ses élèves, scolarise 17% des élèves des premier et second degrés (très variable selon les régions, 40% en Bretagne), mais de plus en plus des catégories ’’CSP+’’ qui représentent 40% des effectifs scolarisés dans le privé.

Plusieurs solutions peuvent être envisagées :

L’amélioration de l’attractivité des établissements en zone défavorisée par l’élargissement de l’offre scolaire (options innovantes et valorisantes), par la mise en place de bonifications pour l’accès aux lycées choisis ou aux grandes écoles à l’aide de partenariats incitatifs, aussi par l’implication volontariste des parents.
La redéfinition de la sectorisation en créant des secteurs mixtes quitte à adapter le réseau de transports, ou en entremêlant les publics sur le principe de la montée alternée des élèves, et en limitant au mieux les dérogations. Les obstacles ne sont pas minces, du fait des réticences d’une partie des familles soucieuses d’évitement scolaire ou inquiètes des déplacements pendulaires accrus des enfants. De plus, là où la présence de l’enseignement privé est forte, ces efforts de re-sectorisation sont souvent annihilés.
L’assouplissement, voire la suppression de la carte scolaire (cf les mesures Sarkozy en 2007) en ouvrant tous les établissements à un principe d’offres et de demandes mais régulées par des critères de priorité qui pourraient viser un objectif de mixité sociale. Un algorithme détermine alors la répartition scolaire et sociale égale des élèves, ce n’est pas une mince affaire. Là encore, l’existence d’établissements non astreints au modèle, casse l’application.

Les auteurs passent en revue les études empiriques qui analysent les effets de la mixité sociale. A court terme, la mixité permet une amélioration plutôt modérée des résultats scolaires des élèves ’’CSP moins’’, de légers progrès dans les tests standards, alors que les résultats des élèves des catégories ’’CSP plus’’ ne subissent pas de variations notables.
A long terme, par contre, le fait de côtoyer des pairs de milieux favorisés et en réussite scolaire apporte aux élèves de catégories défavorisées une meilleure confiance en soi, une ambition de réussite plus grande, un accès plus important à l’enseignement supérieur (de + 10 à 20%). L’exposition à la diversité sociale a aussi des effets sur les comportements et préjugés, encourage l’empathie et la tolérance, une plus grande ouverture intellectuelle et curiosité à l’autre. Les études de cas réalisées aux Etats-Unis (elles sont trop rares en France) montrent une baisse des préjugés raciaux et sociaux, un moindre taux de délinquance (de – 30 à – 60 %) pour les élèves les plus exposés, sans affecter les élèves de catégories aisées. Au-delà du temps de la scolarité, on observe davantage de mixité à l’âge adulte (réseaux d’amitié, exogamie...), d’opportunité d’emplois et de revenus.

Donc, même si les résultats et trajectoires scolaires tendent à n’être que modérément améliorés par la mixité sociale à l’école, les bénéfices sociétaux, surtout, sont importants et significatifs sans qu’on puisse évoquer le risque de « nivellement par le bas », trop souvent évoqué à tort. En des temps de déchirures sociales et de montées des inégalités, il est très nécessaire d’envisager ce combat pour la mixité sociale à l’école. Et même si les spécialistes précisent bien que les sources de progrès scolaires sont aussi et en grande partie, le niveau des effectifs par classe, la présence substantielle des adultes dans les écoles, collèges et lycées et l’offre complète de richesses pédagogiques dans tous les établissements.

Le texte du rapport in extenso : https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2023/11/Note_IPP___revue_litterature_mixite_sociale_ipp-10.pdf