En attendant le compte-rendu du stage académique collège du 19 janvier 2012, voici deux diaporamas présentés par Bruno Mer, co-responsable du secteur collège au SNES National ainsi que l’intervention de Tristan Poullaouec, Maître de conférence en sociologie à l’Université de Nantes

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Intervention de Tristan Poullaouec Stage Collège du 19 janvier 2012 - RENNES

Tristan Poullaouec, maître de conférences en sociologie à l’université de Nantes, auteur de Le diplôme, arme des faibles. Les familles ouvrières et l’école (La Dispute, 2010).

J’interviens ici au nom du GRDS, le Groupe de Recherche sur la Démocratisation Scolaire qui a été créé en 2008 et qui dispose d’un site internet, www.democratisation-scolaire.fr, où il est possible
de retrouver nos analyses et nos propositions pour démocratiser l’école.
La situation est telle aujourd’hui, la casse de l’école publique est si dramatique que la politique de Sarkozy a au moins un mérite, celui d’obliger à tout remettre à plat. Les prochains
gouvernements qui souhaiteraient démocratiser l’école seront obligés de reprendre l’ensemble de la question scolaire et d’inventer une nouvelle école véritablement démocratique. La question des
moyens est donc évidemment prioritaire, mais des moyens pour faire quoi ?

Le premier point de mon intervention sera consacré aux familles ouvrières, sujet de mon dernier ouvrage « Le diplôme, arme des faibles ». On entend trop souvent dire que les familles étant ce
qu’elles sont, il n’est pas possible de démocratiser l’école. Je voulais au contraire, à travers cet ouvrage, montrer en quoi le rapport des parents des milieux ouvriers à l’école n’est aujourd’hui
plus un obstacle à la démocratisation, bien au contraire !

En réalité, lorsqu’on prend un peu de recul historique sur l’espoir que les parents placent dans l’école, on est bien obligé de constater qu’il n’y a pas de désintérêt, pas de démission parentale
mais au contraire un intérêt de plus en plus fort.
En 1962, 15% seulement des parents occupant des emplois ouvriers espéraient que leur enfant aille jusqu’au baccalauréat, alors qu’aujourd’hui cette proportion atteint 88%, d’après la dernière
enquête de l’INSEE que j’ai pu analyser en 2003, le bac étant un minimum (car 71% de ces parents ouvriers visaient ensuite un diplôme de l’enseignement supérieur). Démocratiser l’école nécessite
donc la prise en compte d’un haut niveau de formation ; on ne peut donc se contenter d’un socle commun de compétences et de connaissances, les enjeux vont bien au-delà...

Pour les premiers intéressés, ceux dont les enfants sont les premières victimes des inégalités scolaires, il ne s’agit pas seulement de donner un vernis d’employabilité à la fin du collège, il
s’agit au contraire de préparer le plus grand nombre à la poursuite des études dans l’enseignement supérieur. Cette volonté s’exprime et se vérifie aussi concrètement dans les voux d’orientation
émis par les familles.

Les parents de milieux ouvriers ont en général des voux d’orientation à la fin de la troisième qui sont plus modestes, moins ambitieux, plus pragmatiques qui se portent plus souvent vers la voie
professionnelle ou technologique. Mais ce qu’on souligne moins, c’est qu’en réalité, il ne s’agit plus d’une auto exclusion a priori, mais de plus en plus d’une déception, d’un second choix qui fait
suite à des échecs scolaires précoces.

Quand on compare les voux d’orientation faits par les parents en fin de 3e en tenant compte des notes obtenues au contrôle continu en 4e et en 3e de collège, on se rend compte que plus les
notes sont bonnes, plus les parents visent l’entrée en seconde générale et technologique, qu’ils soient enfants de cadres ou enfants d’ouvriers. La modestie scolaire des familles populaires s’efface
donc considérablement si les apprentissages sont réussis.
En réalité, les inégalités d’ambition ne sont qu’une conséquence d’inégalités d’apprentissages qui sont bien plus précoces. Cette préoccupation pour l’école est vérifiée aussi quotidiennement dans
la vie des familles ; les enseignants sont rarement les mieux placés pour l’observer mais, là aussi, les enquêtes sont convergentes. Les enquêtes quantitatives nous montrent que les parents
consacrent aujourd’hui à peu près 1 heure par jour et par enfant en moyenne à aider leurs enfants dans les devoirs à la maison, à suivre leur scolarité. Il existe quelques petites variations suivant
le milieu social, mais de l’ordre de plus ou moins 5 minutes qui ne sont d’ailleurs pas là où on les attend : en début de scolarité ce sont les parents des classes populaires qui consacrent plus de
temps à aider leurs enfants dans les devoirs. Quantitativement, il n’y a donc pas de désintérêt pour l’école, qualitativement, on verra que cette aide est inégalement efficace, mais il n’est plus
possible de dire aujourd’hui que la démocratisation scolaire est une illusion, une utopie parce que les parents n’en voudraient pas. Au contraire, nous sommes dans une situation où les parents
revendiquent le droit à la réussite pour leurs enfants.
Si les inégalités d’apprentissage sont au cour des inégalités scolaires, la démocratisation scolaire véritable consiste pour nous au GRDS à conduire le plus grand nombre d’élèves possible vers le
maximum de savoirs élaborés de la culture écrite parce que c’est la raison d’être de l’école.

Il y a bien d’autres missions assignées à l’école : l’éducation, ce n’est pas seulement l’instruction, mais les autres missions ne pourront pas être remplies si l’instruction n’est pas assumée
prioritairement.

J’en viens donc à mon deuxième point : l’amélioration massive des apprentissages est un levier puissant de la démocratisation scolaire.
On évoque souvent le collège comme étant le maillon faible du système éducatif ; c’est encore le cas dans un sondage paru hier dans La Croix, réalisé par CSA, qui laisse entendre qu’en réalité une
majorité de parents serait d’accord pour renoncer au collège unique.
Il me semble que le problème est mal posé. Pourquoi présente-t-on le collège comme un maillon faible ? Tout le monde peut constater l’existence d’inégalités très frappantes à la fin du collège.
Aujourd’hui la moitié d’une classe d’âge arrive en lycée général et technologique ; dans les enquêtes PISA, évoquées par Claude Lelièvre, cette moitié des élèves qui arrive en seconde générale et
technologique sans avoir redoublé au collège se situe en réalité dans le haut du classement ; les élèves français qui ont réussi le primaire et le collège sont tout à fait au niveau des autres pays
de l’OCDE. L’autre moitié, elle, se retrouve soit encore au collège à cause des redoublements, soit, pour un nombre non négligeable d’entre eux déscolarisés (situation la plus grave qui puisse
arriver aux élèves), soit, pour beaucoup, orientés vers l’enseignement professionnel. C’est pourquoi la fin de la 3e reste un palier d’orientation massif sur lequel il faut réfléchir. Dans les
propositions de l’appel de Bobigny, il n’y a pas de réflexion, de piste consistant à remettre en cause ces 3 voies de lycée : la voie technologique, la voie professionnelle et la voie générale.
Est-ce qu’on peut vraiment démocratiser l’école sans remettre en question cette tripartition ? C’est un point que nous mettons en débat au GRDS, en avançant l’idée d’un lycée unique, conduisant
l’ensemble d’une classe d’âge à un bac général comprenant un enseignement technologique. Mais comme toute perspective de démocratisation scolaire, cette proposition suppose une forte amélioration des apprentissages initiaux.

Il y a effectivement des difficultés apparentes au collège et surtout à la fin du collège. Toutefois, les statistiques du Ministère et les travaux des chercheurs en sociologie de l’Education depuis
Baudelot et Establet dans les années 70 montrent que ces difficultés d’apprentissage prennent leurs sources pour l’essentiel à l’école primaire dans les premières années d’apprentissage des savoirs
de base (la lecture, l’écriture, le calcul, les mathématiques) sur lesquels sont construit les autres.

Aujourd’hui près de 46% des élèves d’une classe d’âge arrivent sans redoubler en seconde générale et technologique mais derrière ce taux moyen il y a une très grande disparité suivant le niveau
d’entrée des élèves en 6e. Ce niveau d’entrée est évalué non pas sur la base des évaluations de Darcos, mais par la DEPP sur des échantillons très sérieux. Les élèves sont répartis selon 4 quarts
par niveau d’entrée en 6e, 4 quarts d’effectifs égaux qu’on appelle des quartiles. Dans le premier quart, ceux qui ont le mieux réussi les apprentissages en primaire, 90% vont traverser le collège
sans difficulté et se retrouver en seconde générale et technologique sans avoir redoublé. Dans le quart immédiatement inférieur, cette proportion passe à 62%, puis dans le 3e quart, elle diminue
beaucoup, à 29% ; enfin, dans le dernier quart, on chute à 7%. Il y a donc un effet très prédictif de la scolarité primaire sur la suite des parcours. Ce n’est pas tout : les bons élèves d’origine
ouvrière ont à peu près les mêmes chances que les bons élèves dont les parents sont cadres d’atteindre le niveau du lycée sans avoir redoublé avant (85% pour les enfants d’ouvriers, 93% pour les enfants de cadres) ; à l’inverse, il est très difficile aux mauvais élèves qui ont le moins réussi les apprentissages en primaire de remonter la pente, qu’ils soient enfants de cadres ou enfants
d’ouvriers. Cela ne veut pas dire que les inégalités sociales face à l’école soient absentes, au contraire, mais qu’elles sont concentrées au niveau de l’école primaire. Il semble donc nécessaire de
concentrer les efforts sur l’amélioration massive des apprentissages en primaire qui est un levier puissant pour démocratiser l’école.
Les propositions du GRDS sont disponibles sur son site internet. Mais pour l’essentiel, il ne nous semble pas possible de véritablement démocratiser l’école sans rompre avec la concurrence entre les élèves, concurrence qui ne passe pas seulement d’un établissement à l’autre mais aussi à l’intérieur des établissements, entre les filières, entre les classes de niveau (constituées de façon plus ou
moins officieuse alors même que les résultats des chercheurs montrent clairement que les classes de niveau ne font pas progresser le niveau moyen des élèves mais renforcent les écarts entre eux,
c’est vrai à l’échelle d’un établissement, c’est vrai à l’échelle d’un système éducatif au plan national). Les travaux de Baudelot - Establet ont montré que les systèmes éducatifs les plus
égalitaires sont aussi ceux qui repoussent le plus loin possible la sélection. Nous proposons donc une école commune de 3 à 18 ans, avec une discussion autour du lycée unique, avec une
spécialisation au niveau de la terminale uniquement. Il est possible de conduire l’ensemble d’une classe d’âge vers un baccalauréat de culture générale et technologique à condition de rompre avec
tous les obstacles qui empêchent les apprentissages.

Que fait aujourd’hui l’école face aux difficultés des élèves du point de vue de la gestion des flux ? Un élève qui a de grandes difficultés sera orienté vers des filières de remédiation (ce qui
n’est pas une solution pour les apprentissages puisqu’il aura moins de matières générales, or c’est précisément en raison des difficultés dans les matières générales que ces élèves sont orientés
dans ces filières) ou redoublera (aujourd’hui la plupart des chercheurs sont convaincus que les redoublements ne sont pas, en règle générale, une solution efficace aux problèmes des apprentissages) ou passera dans la classe supérieure (ce qui n’est pas une solution à terme ; le passage à l’ancienneté dans la classe supérieure n’est pas non plus une solution). Pour nous, il faut rouvrir le chantier des dispositifs pédagogiques. La modernisation des pédagogies date d’il y a 30 ans. Il faut faire le bilan de cette modernisation, il faut aussi refonder la formation des maîtres qui a été détruite par le gouvernement actuel. En primaire par exemple, on constate que la plupart des candidats au concours de premier degré ne sont pas titulaires d’une licence de lettres ou de
mathématiques mais ont une licence de sociologie, de psychologie, de langue. On a donc parmi ces futurs enseignants très peu de spécialistes de leur propre discipline d’enseignement. Il faut
admettre que les disciplines principales d’enseignement au primaire sont soit les lettres (le français, la grammaire, l’orthographe), soit les sciences ou les mathématiques, et rompre aussi avec la
tradition du maître unique à l’école primaire.

Claude Lelièvre a cité l’appel de Bobigny, je voudrais aussi parler de l’appel des 50 chercheurs qui est paru au mois d’octobre 2010 pendant la mobilisation contre les retraites et qui n’a peut-être
pas eu l’écho qu’il méritait. 50 chercheurs en sociologie, en sciences de l’éducation. qui s’adressent aux partis de gauche pour leur demander une grande réforme à la hauteur des enjeux ; je suis
content qu’on ait parlé du plan Langevin Wallon, on peut imaginer l’état du système éducatif au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’écart entre l’ambition fixée par Langevin et Wallon et la réalité de l’époque, il faut aujourd’hui recréer une même ambition et se donner les moyens de cette ambition. Il y a donc beaucoup de pain sur la planche et on attend maintenant, de la part des
politiques, une perspective forte pour l’école.