Les choses sont simples. L’introduction du CECRL (Cadre Européen Commun de Référence des Langues) et le suivi de chaque élève par compétence fait exploser le temps dévolu à l’évaluation. C’est au bas mot 1 à 2 mn par élève qu’il faut désormais consacrer au renseignement des grilles. Rapporté au nombre d’élèves par enseignant (125 en moyenne), c’est une demi-heure à une heure en fonction du degré d’élaboration de la grille qu’il faut consacrer à ce travail pour chaque devoir. Sachant qu’un collègue de collège enseigne dans 5 classes au minimum et qu’il donne trois devoirs en moyenne par classe c’est-à-dire 15 pour un trimestre, le surplus de travail s’élève à 7h30 en évaluation basse et 15 heures en évaluation haute. Cet investissement va donc devoir se répéter trois fois… Ces grilles n’ont de sens que si elles permettent une remédiation de qualité et un suivi personnalisé c’est-à-dire une parfaite adéquation entre les difficultés de l’élève et les activités d’aide qui lui sont proposées. Encore faut-il élaborer tous ces outils ou aller les chercher là où ils se trouvent… Le temps consacré alors explose littéralement.
Les journées n’ayant que 24 heures, l’élaboration des grilles et leur utilisation empiètent sur le temps essentiel de préparation des cours qui, lui aussi, s’est alourdi. Il faut désormais, prévoir plusieurs activités par cours compte tenu du faible niveau de concentration des élèves. La multiplication des compétences censées être abordées au cours de l’année alourdit les grilles. Une seule donnée nouvelle introduite et c’est l’ensemble du système qui est affecté. Nous sommes alors dans un environnement exponentiel où il est extrêmement difficile de garantir si la grille rend effectivement compte des vrais difficultés de l’élève à un moment T.
Le professeur est alors amené à se poser la question suivante : Vaut-il mieux passer son temps à renseigner des grilles ou accepter que ce temps soit investi dans une aide directe à l’élève ? La grille est un cadre. Il n’est pas impossible qu’elle devienne la prison dans laquelle chacun d’entre nous se verra contraint d’augmenter très sensiblement son temps de travail en présence des élèves. Un système contraignant contraint et tout ceci pour un salaire qui va en diminuant et qui aura été bientôt remplacé, si on n’y prend garde, par le paiement à l’heure effectivement délivrée.
On nous rétorque que la mutualisation est la solution. Si elle peut l’être dans une certaine mesure pour l’enrichissement des cours, elle trouve ses limites dans l’évaluation par compétences : qui peut évaluer mes élèves à ma place ? Le cyber-enseignement (e-teaching) apportera des réponses à certaines de nos questions. Si le rapport dit ’frontal’ à l’élève nous est désormais déconseillé et si par la force des choses nous nous éclipsons derrière celui-ci lors des séances en salle informatique, va-t-il s’agir d’une éclipse temporaire ou d’un éclipse totale ?
Loin de moi la volonté de ne pas affiner mes outils d’évaluation à l’aune des avancées technologiques de notre temps s’ils doivent déboucher sur une meilleure prise en compte de la progression des élèves, il me semble seulement opportun de mettre en garde pour que cette énorme machine n’engloutisse pas ceux qui seraient appelés à la mettre en place inconsidérément.
Je ne suis pas sûr, qu’aujourd’hui je saurais parler le français si ma propre mère (paix à son âme) n’avait utilisé que des grilles pour me transmettre cet outil de communication si essentiel qu’est une langue…
Gerald Bourbon, Collège Charles Langlais , Pontivy