A. Généralités
La décentralisation est le transfert de certaines compétences de l’Etat vers les collectivités territoriales. Elle n’est pas, en elle-même, contestable. Mais ce que nous devons combattre, c’est la forme qu’elle prend aujourd’hui et son idéologie sous-jacente.
CADRE GENERAL
– Modification de la Loi Constitutionnelle - La France est désormais organisée de manière décentralisée.
– La LOLF (Loi organique relative aux lois de finance). Elle précise les lignes directrices auxquelles les différents budgets de l’Etat doivent se plier.
LE BUT
– « Rénover la gestion publique pour améliorer la performance » (Rapport Tron).
LES MOYENS
- Les budgets doivent obéir à des impératifs de performance. Mise en place d’un système de bonification / sanction relatif aux résultats.
- Contractualisation des relations entre les services centraux et les services déconcentrés (réforme fondamentale puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’abandonner le cadre républicain de la loi au profit d’un cadre contractualiste - modèle de la démocratie libérale).
- Le principe de fongibilité (à tous les niveaux, les gestionnaires auront la liberté d’utiliser globalement leurs crédits).
CONSEQUENCES
Les conséquences, envisagées ici de façon globale, ne sont pas des conséquences possibles mais des conséquences certaines (il suffit de s’intéresser à ce qui se passe dans les pays qui ont adopté ce mode de fonctionnement). Tout d’abord, la contractualisation engendrera nécessairement de l’inégalité ou renforcera celle qui existe déjà entre régions, entre établissements (on peut d’ailleurs remarquer qu’en Allemagne, où le système d’enseignement est décentralisé et contractualisé, on fait machine arrière !!!).
Par ailleurs, l’idée même de performance ou d’efficacité (idée d’origine libérale s’il en est), attachée au service de l’éducation, est sinon contradictoire, au moins problématique (et on ne peut pas s’empêcher ici de faire le lien avec l’AGCS, l’Accord général sur le commerce des services, dont l’application est actuellement discutée dans le cadre de l’OMC). Cela aboutira de fait à une transformation radicale, tant dans la forme que dans le contenu, de notre mission d’enseignant, intégrée qu’elle sera au système marchand !
B.Ce qui a déjà été fait
- Suppression des MI-SE. Le gouvernement la justifie en s’appuyant sur un rapport commandé par M. Allègre concluant que le statut de MI-SE était devenu inadapté : profil de l’étudiant-surveillant ne correspondant plus aux exigences du service ; pas ou peu d’intégration de MI-SE dans l’EN). On remarquera que les justifications apportées concordent avec la logique de la LOLF. La dimension sociale du statut, le fait qu’il a permis à de très nombreux jeunes de poursuivre des études n’est plus un critère pour juger de la valeur d’une fonction. Seule compte la performance, l’efficacité).
- Les contrats d’aides - éducateurs ne sont pas reconduits. Or, ceux-ci, recrutés à Bac + 2 s’occupaient de la surveillance, de la médiation et de la maintenance des parcs informatiques. Ils sont devenus, dans beaucoup d’établissements, des membres à part entière de l’équipe éducative.
En « échange » (mais beaucoup moins nombreux), le gouvernement mettra en place des « assistants - éducateurs », directement recrutés par l’établissement. Les critères de recrutement restent flous (pas de caractère social envisagé !) et le statut qui leur sera accordé sera nettement moins avantageux que celui dont bénéficiaient les surveillants (temps de travail plus important, salaire relatif moindre, précarité du statut). Encore une fois, nous retrouvons la logique de la LOLF. La mission sociale de l’Etat est oubliée. - Transfert d’environ 150 000 personnes de la fonction d’Etat à la fonction territoriale (Conseillers d’Orientation Psychologues, Assistantes Sociales, Médecins Scolaires, personnels T.O.S).
Au-delà de l’attaque statutaire dont tous ces personnels sont victimes, les projets sont clairs et en parfaite cohérence avec l’idéologie qui sous-tend les choix gouvernementaux. Il s’agit, d’une part, de permettre aux régions d’influer sur les orientations éducatives et pédagogiques des établissement dont ils auront la charge, en vue de satisfaire leur but naturel : la promotion économique du territoire qu’elles administrent ; et, d’autre part, d’ouvrir au marché privé divers services (cantine, nettoyage, entretien). On peut alors craindre une augmentation, directe ou indirecte, du coût de la scolarité ou, du moins, un financement assurément moins équitable de celle-ci.
On peut ajouter à cela que les médecins scolaires et les assistantes sociales, intégrant des structures régionales, pourront être employés à des tâches qui n’ont plus rien à voir avec le milieu scolaire. - Changement, loin d’être anecdotique, du nom du ministère de l’Education Nationale. Luc Ferry est devenu, par décret (mars 2003), ministre chargé de l’éducation.
Ce qui va être expérimenté dans l’académie de Rennes (et que l’académie de Bordeaux a refusé).
Dans le cadre de la décentralisation seront mis en place des transferts des compétences budgétaires aux régions et aux établissements. Ces transferts seront contractualisés. Les contrats définiront des objectifs à atteindre, avec obligation de résultats.
L’organisation générale du service « Education » devra donc répondre à des impératifs d’efficacité et de performance - impératifs difficiles à conjuguer avec le sens même de notre mission éducative (qu’est-ce qu’un prof performant ? Qu’est-ce qu’un élève performant ?).
COMMENT ?
– Modification du C.A., en y faisant entrer plus de parents, d’élus politiques et de membres de la « société civile » (autrement dit le patronat local, qui a tout intérêt à s’intéresser à la formation des jeunes) et, donc, en réduisant la part relative des représentants du personnel d’éducation.
– Création d’une fonction de président du C.A., distincte de celle de chef d’établissement et occupée par un élu politique local.
– Instauration d’une démarche « qualité » (voir le livre de L. Ferry, « Lettre à tous ceux qui aiment l’école », p. 126 et suiv.), inscrit dans un projet global d’établissement, décliné en projets spécifiques, dans le cadre d’un contrat avec le rectorat ou l’I.A.. Le projet contractualisé devra proposer des objectifs chiffrés à atteindre (mise en place d’un système de bonification / sanction au vu des résultats).
– Accroissement du pouvoir de gestion du C.A., avec la possibilité de puiser, par exemple, dans les fonds destinés à l’aide sociale pour financer d’autres dépenses (FONGIBILITE DES CREDITS), ou de recruter directement des A.E., des vacataires, des contractuels…
– Création d’un conseil scientifique et pédagogique, avec des coordonnateurs dans chaque discipline. Ce conseil aura pouvoir sur l’organisation pédagogique des activités d’enseignement. L’autonomie de l’enseignant est ainsi remise en cause.
D. Les conséquences
– Une plus grande autonomie des établissements, au sein desquels région et familles auront au pouvoir relatif renforcé.
Or, la finalité de la région, c’est le développement économique et non pas le service public. Seul l’Etat est capable de garantir l’égal accès de tous au service d’éducation.
– Transformation en profondeur du service éducatif et remise en cause de ses caractères public et égalitaire. Pourquoi ?
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- Parce que la région a naturellement en vue la formation et budgétisera en fonction.
- Parce que la contractualisation des rapports entre établissements, Etat et régions aboutira à creuser les inégalités entre les régions et entre les établissements. Les ressources humaines et financières dont disposent les régions et départements sont, en effet, très inégales.
- Le recrutement d’une partie du personnel par le C.A. aboutira nécessairement aux mêmes conséquences.
– Institution de la concurrence entre établissements avec, en perspective, la mise en œuvre d’un service d’éducation à deux vitesses. Il s’y ajoute le risque de voir l’enseignement professionnel rejeté progressivement hors du service public.
– Cette nouvelle organisation du service éducatif ne peut aboutir qu’à accroître les inégalités entre les zones d’éducation et à transformer la nature de notre activité. Il s’agit d’une stratégie d’encerclement, qui s’inscrit dans le cadre de la réforme libérale de l’Etat, commandée par les stratèges de l’OMC - ouverture au marché et à la concurrence des services auparavant préservés de la logique marchande !
Etienne Bonin, professeur de philosophie à Rennes