Un stage sur les enjeux de l’orientation, animé par Francis Vergne [1], COPsy au CIO de Riom (Puy de Dôme) et membre de l’institut de recherche de la FSU a rassemblé environ 25 collègues à Rennes le 13 décembre 2005. L’objectif était de sensibiliser aux enjeux « politiques » de l’orientation en montrant la cohérence des réformes qui touchent le système éducatif.

Francis Vergne a d’emblée évoqué la "tourmente libérale" qui atteint l’école et l’orientation en montrant que ces attaques constituent un système cohérent. Ainsi, par exemple, "l’individualisation des parcours" renvoie les élèves à une autonomie et à une responsabilisation accrue dont on sait fort bien que seuls les plus armés d’entre eux peuvent vraiment bénéficier. Le désengagement de l’état se situe, lui aussi, dans ce cadre d’une extension de la sphère marchande à l’école par la destruction de tout ce qui pourrait y faire obstacle. Dans cette vision, la cohérence du système éducatif éclate en fonctions multiples, auparavant articulées et maintenant segmentées : éducation, instruction, qualification... Ainsi la formation professionnelle semble à terme devoir quitter le cadre de l’école, réduisant ainsi le périmètre scolaire. Dès lors, seules la rentabilité et l’utilitarisme dominent en matière de politique de formation. Le modèle de l’entreprise pénètre le monde scolaire et dénature les finalités de l’école. D’ailleurs l’idée d’élévation du niveau scolaire semble devoir être remise en cause dans certains cercles néo-libéraux, le développement et l’épanouissement de la personne constituant des luxes dont on pourrait aisément se passer...


De la logique économique...

En conséquence, il faut sortir l’orientation de l’école ; la mission d’orientation devenant elle-même utilitaire, il faut s’adapter à l’emploi. On passe ainsi de l’éducatif à l’insertion économique. L’orientation étant un bon révélateur social, le libéralisme perturbe gravement une forte demande d’orientation. S’ouvre ainsi un marché de l’angoisse scolaire des parents que signale l’émergence du "coaching", et des officines de soutien scolaire.

Les enjeux de l’orientation sont donc inséparables d’un contexte que l’on peut décrire en trois points :

- la "désorientation" des individus et des groupes sociaux. De plus en plus tôt on considère l’individu comme "entrepreneur de soi même", dans un cadre individualiste suscitant ce qu’Alain Ehrenberg a appelé la "fatigue d’être soi" à propos de l’injonction à développer sa personne. Mais les groupes sociaux sont eux aussi bouleversés : sur fond de crise croissante de la mobilité on assiste au naufrage des classes populaires et surtout des ouvriers perçus comme des perdants. Dans cette "segmentation" des classes salariales il y a des gagnants et des perdants et, pour ceux-là, la représentation de soi n’est guère valorisante.

- l’emploi en miettes et le travail sans qualité. On voit se produire des attaques contre tous les statuts ; elles visent à produire de la flexibilité et de l’instabilité qui deviennent le régime normal d’existence de l’emploi.

- la précarité devient la norme. L’insécurité sociale se développe au rythme des remises en cause du droit du travail et de la création de nouveaux contrats (CNE, CPE...)

... à la logique éducative

C’est dans ce cadre délétère que se situent désormais les enjeux éducatifs centrés autour de la question : quelle orientation pour quelle école ? Historiquement, l’orientation a connu plusieurs approches.
Dans les années 60, on la comprenait en terme de placement et de répartition à partir de tests psychométriques en correspondance avec une caractérisation des métiers, l’approche se voulant "scientifique". Les années 70 ont vu s’effectuer un basculement vers le conseil et le choix laissant une place plus grande à l’individu, mais cela se produit avec l’émergence des idées libérales et de l’idée de projet qui devient la norme plaçant ainsi les élèves devant une injonction paradoxale : on demande aux jeunes qui en sont le moins capables d’élaborer très tôt des projets individuels en oubliant les conditions de réalisation indispensables.

De l’orientation “placement”... à l’orientation “éducative et reflexive”...

Face à ce dilemne, Francis Vergne propose une troisième voie : l’orientation éducative et réflexive. Ni retour à une orientation directive conçue et réalisée en extériorité par rapport au sujet, ni acceptation du mythe de l’individu libre s’orientant tout au long de sa vie dans un grand marché libéré des servitudes, des réglementations où les biens et les services, les informations et les conseils, les écoles et les perspectives d’emploi, s’achètent et se vendent au mieux de leur intérêt.

L’orientation éducative articule donc deux aspects : conçue avant tout comme élaboration psychologique structurante des intentions d’avenir des jeunes, elle s’attachera à la fois à comprendre les contextes et les déterminismes sociaux et économiques et à aider le sujet à construire, argumenter, légitimer le point de vue qu’il se donne sur son orientation. Elle pose en postulat le caractère actif du sujet. Ce qui compte est donc moins l’observation faite sur lui par une personne experte extérieure que la façon dont il devient acteur de son orientation en nouant les fils de divers déterminants : recherche et assimilation d’informations variées, auto évaluation, construction de représentations personnelles, prise de conscience de ses capacités mais aussi de ses désirs, anticipation et saisie d’opportunité, prise de décision adaptée et autonomie etc...

... avec des personnels qualifiés !

Cela implique une certaine décentration des praticiens de l’orientation : il s’agira alors moins de préconiser que de stimuler, faciliter, accompagner, aider à développer l’activité mentale du sujet s’orientant. Cette évolution signifie la possibilité d’une pratique différente faisant infiniment plus appel à l’activité du sujet et à l’écoute de la personne : en lieu et place de l’orientation placement, l’orientation cheminement ; contre l’orientation subie l’orientation active, non plus "être orienté" mais "s’orienter". Et comme rien de tout cela n’est inné, vient en complément l’exigence d’apprentissage : s’orienter s’apprend et les choix sont éducables.
Encore faut-il que soient alors confortée et renforcée la place des personnels qualifiés (Conseillers d’Orientation-Psychologues) des services et des structures (Centres d’Information et d’Orientation) qui peuvent, au sein du service public de l’Education Nationale donner tout son sens à cette "révolution" tout en la préservant des dérives mercantiles ou utilitaristes. Encore faut-il que soit pleinement reconnue la contribution originale et parfois décisive qu’apportent les Conseillers d’Orientation-Psychologues à la réussite des trajectoires de formation et d’insertion professionnelle. C’est loin d’être le cas aujourd’hui et les Régions ont, à notre avis, leur rôle à jouer pour exiger des pouvoirs publics des recrutements à la hauteur des besoins.

Hervé Le Charlès