Le 17 juin dernier l’expérimentation du SNU (Service national universel) a été lancée dans 13 départements pilotes concernant 2000 jeunes volontaires de 15-16 ans. A terme toutes les générations (800 000 par an) devront effectuer ce service – il n’est pas prévu de procédure d’objection ou d’exemption. Ils seront encadrés par des éducateurs, professeurs volontaires ou militaires réservistes et retraités – l’armée, réticente, ne prévoit pas de mettre à disposition des cadres actifs. 12 jours en vie collective sans portable, sous uniforme et lever du drapeau avec Marseillaise chaque matin. 4 modules obligatoires de formation : - défense – sécurité – code de la route – promotion de la santé. Tout cela fleure bon la nostalgie et le passéisme façon III° République.

Pour l’organisation de cette lourde machine et son coût, cf notre précédent article : https://rennes.snes.edu/l-improbable-service-national-universel.html

Comme en beaucoup d’autres domaines, Macron et son mouvement LREM, sont minoritaires dans l’opinion. En particulier, les organisations et syndicats de la jeunesse, lycéens et étudiants sont opposés à cette opération. De nombreux sociologues, politologues, historiens expliquent qu’on ne peut revenir en arrière et restaurer de nos jours une autorité verticale, l’ordre et la hiérarchie. Ils voient là le fantasme du service militaire d’autrefois, rite initiatique républicain dont on s’imagine avec le recul nostalgique, qu’il aurait créé de la cohésion sociale, du brassage culturel et de la mixité. Or si cela n’était pas totalement faux, c’est quand même largement exagéré, jeunes hommes des classes populaires et ceux de la bourgeoisie éduquée (quand ceux-ci n’étaient pas exemptés) se côtoyaient fort peu et n’étaient pas affectés aux mêmes missions.

Peut-on remettre en vigueur une structure d’embrigadement où on édicte des règles et des comportements adéquats ? Quelle place pour l’esprit critique, la réflexion sur le sens de la nation aujourd’hui et l’appartenance à la société ? Le sociologue Vincent Tiberj (Sciences Po Bordeaux), considère que cela reflète une conception archaïque de la jeunesse. « Vouloir instaurer l’uniforme, les faire lever devant leurs professeurs, c’est une figure ancienne. La jeunesse doit être dressée. Le primat reste qu’on doit éduquer les jeunes, pas pour les conduire à l’émancipation mais plutôt leur édicter des règles et leur apprendre à se comporter pour correspondre à un désir d’ordre et combattre les incivilités. C’est une vision datée politiquement et en inadéquation avec la manière dont la société évolue.  »

Gabriel Attal, secrétaire d’Etat en charge de la mise en place du SNU, objecte que le but est d’inculquer les valeurs républicaines, assurer la cohésion sociale et l’intégration citoyenne à travers temps de réflexion et débats, activités sportives et parcours de combattants et cérémonies patriotiques. Mais pourquoi faire sous forme militarisée en 15 jours ce que l’Ecole peut faire de façon plus réfléchie et sur le long terme si on lui en donne les moyens ? Pourquoi glorifier les symboles et les rites patriotiques quand il s’agit plutôt de les décrypter et les interroger ? Pourquoi consacrer 1,5 milliard € par an (à partir de 2025) sans assurance de réussite, quand on limite les moyens du système éducatif notamment dans les zones sensibles et qu’on réduit l’accompagnement des jeunes en difficulté ? Pourquoi un dispositif aussi lourd quand il existe le service civique volontaire et d’autres dispositifs d’insertion ?

Et puis, voir des essaims de jeunes garçons et jeunes filles de 15 ans à la maturité critique pas encore formée, en uniforme crapahutant dans la nature, jouant aux soldats, ne peut que laisser une impression de malaise. Comme le dit Olivier Loubes (historien, spécialiste de Jean Zay) : «  La nature du régime qui met en place ce genre de cérémonial est importante. Les Français ont un rapport critique à la mémoire. Le lever de drapeau se faisait sous Vichy, donc forcément cela évoque Pétain, même s’il ne s’agit pas de dire que Macron fait du Pétain, mais cela fait écho. On ne peut pas faire comme si cela n’avait pas existé même si le parallèle avec Hitler est une bêtise. » Pour résumer, Emmanuel Macron aurait dû s’abstenir d’une telle mesure...